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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/550

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un monument funéraire sous cette voûte triomphale, n’a fait que payer, avec une dette de famille, une dette de la société humaniste envers l’artiste si simplement et chaleureusement humain.

Durant les années mêmes (1456-1464) où F. Lippi, élève du grand naturaliste Masaccio, tirait si magistralement, à Prato, les conclusions de son enseignement, Benozzo Gozzoli, élève du mystique Fra Angelico, dans le Palais Médicis, donnait à celui de son maître des développemens inattendus, et dans le même sens de modernité et d’humanité. Pierre le Goutteux, avant de mourir, aura la joie de voir achevée cette chapelle dont il avait toujours suivi de près le travail, et d’assister à cette Procession des Rois Mages qui se déroule, sur trois parois, dans un paysage accidenté. Dans ce long cortège, où chevauche, en son costume somptueux, l’empereur d’Orient, qu’il avait connu, lors du Concile, en sa jeunesse, Pierre reconnaissait aussi, vivans d’une vie intense avec leurs physionomies, familièrement, mais résolument et franchement analysées, d’une allure si naturelle qu’on les croyait toucher, tous ses parens, ses amis, ses courtisans, ses protégés. Quelle gravité simple, sans affectation, sans morgue, dans les hommes mûrs et les vieillards, quelle vivacité, quelle pétulance, quelle aménité dans ces jeunes gens élégans, alertes et intelligens ! Toute cette foule se dirigeait alors, se pressait vers une Nativité de F. Lippi placée sur l’autel. Ce tableau a disparu. Nous n’avons plus la Vierge et l’Enfant, mais les Anges adorateurs nous restent, groupés dans l’embrasure de la fenêtre ! Et quels Anges ! Debout ou agenouillés, silencieux ou chantans, c’est en tous ferveur profonde et grâce affable ! Avec la naïve sensibilité de Fra Angelico, le bon Gozzoli a pris à Masaccio et à Lippi ce qu’il lui fallait de muscles et de chairs pour donner à ses figures poétiques les plus fermes apparences, sans leur rien ôter de leur candeur extatique et avenante ! La réalité, certainement, nous enveloppe de tous côtés, une réalité tangible et parlante, mais idéale aussi et surhumaine, réalité céleste autant que terrestre. La beauté, ici, ne fait qu’un, avec la foi pour les chrétiens, avec la vérité pour les humanistes.


III

Cosme, le « Père de la Patrie, » mourut le 1er août 1464. « Il voulut être enseveli sans pompe et sans honneur aucun, et ce