Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le jouvenceau accepta résolument, comment, en quelques années, surprenant amis et ennemis, il devint, non seulement le maître absolu de la ville, mais l’organisateur et le mainteneur respecté d’une paix générale, depuis longtemps inconnue à l’Italie et à l’Europe. Les neuf années qui s’écoulent entre cet avènement et la conspiration des Pazzi, furent encore, pour Florence, ses lettrés et ses artistes, une période d’enivrement sans nuages. Laurent mène tout de front, avec même ardeur et même intelligence, dans cette fête de pensée et de beauté. Comme son peuple intelligent, sensible et mobile, dont il porte l’âme, c’est avec une incroyable aisance, une sincérité d’éclectisme particulier à la race, qu’il associe et pratique l’action et la réflexion, la volupté et la piété, le christianisme et le paganisme.

La première génération des créateurs de beauté, d’une beauté encore simple et pure, énergique et fière, franche et saine, était, sans doute, bien éclaircie. Brunellesco, Ghiberti, Fra Angelico, Michelozzo avaient précédé dans la tombe Donatello et Fra Filippo Lippi. L’encyclopédique Alberti, Paolo Uccello, Luca della Robbia les allaient suivre. Dans la seconde génération, restaient debout, en pleine maturité, Benozzo Gozzoli, Baldovinetti, A. Rossellino, Pollajuolo, Mino da Fiesole, Giuliano da Majano, Andréa del Verrocchio, Matteo Civitali, un peu plus âgés que les frères Medicis. Laurent et Julien ne les oublièrent pas. Néanmoins, comme il est naturel, leurs sympathies et leurs faveurs s’adressèrent, de préférence, aux artistes de leur âge.

Botticelli avait vingt-deux ans. Déjà passé maître, il conquit vite au Palais Médicis, par l’originalité de son talent et de son caractère, ses entrées familières. Il trouva chez Laurent même estime confiante qu’autrefois, chez Cosme et Pierre, ses aînés Donatello et Lippi. C’était, de fait, un tempérament de même trempe, essentiellement artiste, tout à son art, rien qu’à son art, d’une sensibilité vive et variée, comme eux insouciant et imprévoyant, désintéressé et sincère, mais plus qu’eux inquiet et mobile dans ses incessantes curiosités, ses enthousiasmes et ses dégoûts, ses accès de joie et ses crises de mélancolie. Nul n’a suivi plus naturellement les évolutions de l’imagination florentine, durant la fin du siècle, nul n’a exprimé avec plus de sympathie les émotions religieuses, esthétiques, littéraires, morales, qui agitèrent ses contemporains. Cette aptitude à rendre, avec un charme aigu, par des images vives et suggestives, leurs