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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/560

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harmonieuses ; etc. » Fra Mariano avait toutes les qualités d’un excellent rhétoricien, bel acteur, beau diseur. Il déclamait à merveille les vers latins et grecs, les citations d’auteurs païens, dont il émaillait ses sermons. On se croyait encore ; dans un banquet philosophique et littéraire, sous les ombrages de Careggi. L’église était une succursale de la chapelle où les néo-grecs rallumaient des lampes devant le buste de Platon.

En attendant que Savonarole eût pris conscience de sa force et de sa mission dans ses rapports avec la population plus naïve de la banlieue toscane et de la Lombardie, la grande fête put continuer, publique ou privée, sans interruption. Le journal du bon épicier Luca Landucci, nous en dit long sur ce sujet. Nul événement intérieur ou extérieur, nul passage d’étranger notable, qui ne soit prétexte à de fastueuses réjouissances. Souvent aussi des événemens intéressans pour les arts : « Le 21 juin 1483, on plaça, dans un tabernacle d’Orto San Michèle, ce saint Thomas devant Jésus, en bronze. C’est la plus belle chose qu’on y trouve, et la plus belle tête du Sauveur qu’on ait encore faite, de la main d’Andréa del Verrocchio. » Le brave boutiquier a bon goût. En effet, tandis que ses élèves, à Rome, montraient les résultats de son enseignement, l’illustre sculpteur et peintre, dans son atelier, le plus fréquenté de Florence, avait achevé un ouvrage magistral. Déjà, en 1476, dans son David, si nerveux et alerte, il avait montré la beauté de l’adolescent, fière et gracieuse, mais un peu grêle dans son élégance, telle que la comprenait la société mondaine, telle qu’elle s’affirmait dans les bustes et portraits des jeunes Médicis et de leurs compagnons. Dans sa Décollation de saint Jean-Baptiste, au Baptistère, d’une mise en scène si pathétiquement réelle, d’une exécution à la fois vivace et précise, il avait, à côté de cette beauté juvénile dans les trois écuyers, montré la beauté virile, plus ferme et plus mûre, la beauté en action, brutale dans le bourreau nu, passionnée dans les deux chevaliers, noble et calme dans le Saint agenouillé. En même temps, dans son buste pensif de la Femme aux fleurs, et dans ses Madones de Santa Maria Nuova et d’ailleurs, il avait fixé le type de la Florentine intelligente, cultivée, dignement affable. Et sur tous ces visages de femmes et d’adolescens, comme sur ceux des Anges dans la peinture du Baptême du Christ, flottait déjà cet attirant, ce mystérieux sourire qui immortalisera les œuvres de son illustre disciple, Léonard de Vinci. La vérité est