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d’Ariane était digne, entre tous les objets ou les sujets musicaux, d’avoir, ou d’être même, un motif conducteur.

Quant à la dextérité, l’ingéniosité, l’intelligence (il n’y a décidément pas d’autre expression), mille riens, qui sont quelque chose à la fin, la trahissent. Les actes les plus vides ne le sont pas tout à fait. Le prélude au moins de la traversée a quelque senteur marine. Sans être pavé, ou seulement semé de bonnes intentions, l’Enfer d’Ariane en montre cependant quelques-unes. La morne et traînante mélopée de Perséphonè (sur des paroles extraordinaires) respire je ne sais quel ennui funèbre et qui convient. En un tableau de ce genre, ou de ces lieux, la note, ou la couleur, a paru juste autant que nouvelle. Quelle vieillerie, au contraire, et quelle erreur, que ce ballet de trop aimables Furies, faisant claquer en mesure des fouets d’opérette ! Et surtout dans l’épisode, — redemandé chaque soir, — « des roses, » dans cette molle, et veule, et faussement sentimentale cantilène, qui tombe de chute en chute et finit par s’écraser, quelle fâcheuse indulgence d’un grand artiste pour de trop chères faiblesses, pour ce qu’il y a dans son art, ou dans sa manière, ou dans son procédé, de plus factice et de moins pur !

Oui, M. Massenet témoigne à certains momens pour lui-même d’une trop lâche complaisance. On l’a dit, il ne veut point assez fermement, assez profondément tout ce qu’il fait. C’est dommage, car il fait tout ce qu’il veut. Rien qu’avec une fanfare de cors, brève mais expressive, il évoque mieux que le poète (j’entends son poète à lui) une Phèdre chasseresse et sœur de Diane. Il a senti que le combat au héros et du monstre était peut-être au-dessus de ses forces. Pourtant il ne le refuse, il ne l’esquive pas ; il l’esquisse en traits justes : dessins opiniâtres et rudes des instrumens à cordes, qu’un rauque meuglement des instrumens de cuivre entrecoupe. Et sans doute la musique ici demeure au-dessous de la poésie (je veux dire cette fois de la poésie de Racine). Un seul vers :


Et la Crète fumant du sang du Minotaure,


a plus de grandeur et de puissance que tout l’orchestre, de M. Massenet ; M. Massenet n’en a pas moins traité l’épisode en virtuose de l’orchestre.

Enfin il y a dans certaines pages d’Ariane, les unes charmantes et d’autres belles, mieux que de l’intelligence et de la virtuosité. Le sentiment de la musique de M. Massenet, quand il ne tombe ni dans la sensualité ni dans la sensiblerie ; peut être quelque chose de délicieux.