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Le drame finit sur un effet pittoresque, sur une impression de nature, tragique celle-ci, et plus profonde encore. Après la courte violence de la dernière scène, au cri de Kœbi qui tombe, le maître de l’auberge et deux servantes paraissent au balcon. Elles interrogent ; il regarde, écoute et répond : « Ce n’est rien, c’est le vent qui pleure dans la forêt. » En effet, ce n’est rien : quelques notes de récitatif sur un trémolo bien ordinaire ; mais il y a dans leur inflexion, dans leur accent, tant d’inconsciente et mystérieuse tristesse ; la dernière surtout fait avec la basse de l’orchestre, en s’y appuyant, une dissonance si expressive ; la modulation qui suit, le ranz des vaches repris une dernière fois, ramène un tel silence, un tel calme, que rarement il nous fut donné d’entendre, de voir même ainsi, par la musique, se refermer sur la mort le voile ou le manteau de la nuit.

Maintenant, s’il fallait classer ou « situer » la partition de M. Doret, où la placerions-nous ? Dans la région et le voisinage des œuvres claires et franches, brèves et fortes. Ce serait. — en gardant les distances, — du côté (nous ne disons pas à côté) d’une Artésienne et d’un Roi d’Ys. Et nous ne voyons pas d’indication ou de conclusion, qui puisse mieux définir cette musique et l’honorer davantage.

Les Armaillis ont eu d’excellens interprètes : Mme Lamare (Mœdeli), qui débutait, et fort heureusement, M. Devriès (Hansli), surtout M. Dufranne (Kœbi), et M. Ruhlmann (le chef d’orchestre). Mais, de tous les artistes, en tout genre que dirige M. Carré, M. Carré peut-être est le plus artiste encore


La Princesse Jaune, qui date de 1872, rappelle et justifie un mot que nous disait Gounod : « Saint-Saëns était tout jeune, que déjà il n’avait pas d’inexpérience. »

Le Bonhomme Jadis, pièce vieillotte et plus que simple, partition ultra-moderne et compliquée à l’excès, nous a paru l’effet d’une erreur, peut-être de deux. Ce qu’il fallait à cette petite histoire, c’était d’abord une tout autre musique ; et puis, ou plutôt, il n’y fallait pas de musique du tout.


CAMILLE BELLAIGUE.