Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/792

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la vertu. » Plus il connaissait Rome, mieux il s’expliquait ses succès extraordinaires. Les Grecs aimaient à les attribuer à la fortune, pour se consoler de leurs défaites et se conserver une espérance. Ils se disaient tout bas que si c’est le hasard qui leur a ôté la victoire, le hasard pourra bien un jour la leur rendre. Polybe leur répond qu’ils se trompent ; il affirme que les Romains la doivent à leurs qualités de citoyens et de soldats, surtout à l’excellence de leurs institutions politiques, et, pour le prouver, il en a fait une étude approfondie, que nous avons en partie conservée, et qui est admirable de bon sens et de sagacité. Il en conclut que tant que les Romains respecteront ces institutions, qui leur ont donné la supériorité sur des nations moins sages et plus mal gouvernées, ils la garderont, et seront les maîtres du monde. Que reste-t-il donc à faire aux Grecs ? Il ne leur reste qu’à se soumettre, et Polybe n’hésite pas à le leur conseiller. Pour son compte, il s’y résigne sans douleur, et même avec une certaine allégresse. « Je supplie les dieux, disait-il à la fin de son Histoire, qu’ils m’accordent de passer le reste de mes jours à Rome, assistant à la prospérité de la République et la voyant sans cesse s’élever et grandir. » Il faut bien avouer que cette attitude a quelque chose d’un peu déplaisant. Notre sympathie va plutôt vers ses compagnons d’exil qui, dès qu’on leur eut rendu la permission de rentrer chez eux, n’eurent rien de plus pressé que d’aller se faire tuer à Corinthe, dans un dernier combat sans espérance. Et pourtant, c’était Polybe qui avait raison. La Grèce ne s’est pas mal trouvée d’avoir accepté la défaite, et, selon le mot d’Horace, elle a fini par conquérir ses vainqueurs. Dans le mélange qui s’est fait du génie des deux peuples, c’est le sien qui l’emporte. Polybe leur était utile à tous les deux en faisant mieux connaître la Grèce aux Romains aussi bien qu’en habituant les Grecs à la domination de Rome, et des deux façons il servait la cause de l’humanité.


VI

Il arriva trop souvent dans la suite que les Grecs établis dans la maison des grands soigneurs de Rome n’y donnèrent pas de bons exemples. Le caractère n’était pas toujours chez eux à la hauteur du talent. Ils se firent les flatteurs de leurs hôtes et Juvénal ne voit en eux que des parasites plus adroits qui par