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parler, George Eliot la comprendra plus tard, — elle qui a tout compris, — mais on cherche vainement dans sa propre vie intérieure trace de sentimens analogues. L’effort, la tension morale semble déjà tout dominer. On lui a dit qu’elle pourrait atteindre à la sainteté de saint Paul. Folie, peut-être, mais pourquoi pas ? « Oh ! si nous pouvions ne vivre que pour l’éternité et cesser de nous contenter d’une religion terre à terre ! Oh ! si je pouvais mener une vie aussi bienfaisante que M. Wilberforce !… Puissé-je devenir toute sainte ! Voici que j’aurai bientôt dix-neuf ans, que cet anniversaire me soit un signal de réveil. »

Ne souriez pas à la pensée du prochain changement de scène, ne comparez pas malicieusement les lettres laborieuses et surchauffées de la jeune fille, avec la morale, certes moins ambitieuse, que George Eliot doit prêcher un jour. Ce qu’elle rêvait ainsi, Marie-Anne a essayé pendant des mois, pendant des années, de le traduire en acte. Aux autres souffrances d’une jeunesse qui trouvait déjà et au dedans et au dehors tant d’occasions de meurtrissures, s’ajoutent les immolations spontanées et les sacrifices volontaires. Elle a cherché, comme Maggie, à humilier son orgueil, et, chose contre laquelle tous ses instincts se révoltaient invinciblement, elle a peut-être essayé, comme Maggie encore, non pas simplement de supporter, mais presque d’aimer les marques extérieures de froideur et de dureté. Mais il ne semble pas qu’aucune onction religieuse, ou vraie facilité de prière ait attendri pour elle la sécheresse de cet effort. Le cœur n’y est pas, ou du moins il n’y a été qu’en passant et jamais à fond. Chose étrange, George Eliot, dans sa vie intime, ne semble avoir connu de l’Évangile que la face austère. Elle qui a conduit Dinah Morris à la prison de Stoniton et qui a placé l’Imitation entre les mains de Maggie en détresse n’a éprouvé pour elle-même, ni la suavité de la foi de Dinah, ni la ferveur passionnée des prières de Maggie. La remarque a trop d’importance pour que nous puissions nous dispenser de l’établir sur bonnes preuves.

On connaît cette mémorable aventure : miss Evans dépêchée par des amis communs, comme la plus excellente théologienne du pays à une famille de libres penseurs, rendant les armes au bout de quelques jours et se déclarant vaincue. Certes, tout est révélateur dans cette brusque surprise, d’abord la rapidité, le coup de foudre d’une transformation si complète et qui, nous le savons, devait rester définitive, et puis, et surtout, l’absence