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POÉSIS

LES VOYAGEURS


Adieu, vous qui partez pour ce même voyage
Que, jadis, au matin, avant vous, j’ai tenté !
Vous me retrouverez assis sur ce rivage
Que vos cœurs oublieront quand vous l’aurez quitté.

Adieu donc ! que vos bras hissent la blanche voile
Où va souffler le vent qui vous porte ma voix ;
Puissent avec faveur la marée et l’étoile
Vous conduire à ces bords où déjà je vous vois !

Compagnons orgueilleux, amis ingrats que j’aime,
Je vous laisse partir sur la mer sans regret.
Qu’importe le vaisseau si la route est la même !
Sans aller avec vous je vous devancerai.

Tandis que vous croirez découvrir, à l’aurore,
Le prestige changeant d’un nouvel horizon,
Ma mémoire fidèle, où il demeure encore,
M’en rendra la couleur, la ligne et la saison ;

Et, de la rive aride où la mer monotone
Avec le même bruit mire les mêmes cieux,
Je n’aurai, pour revoir tout ce qui vous étonne,
Qu’à me ressouvenir et qu’à fermer les yeux.