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Que d’autres en riant s’en aillent vers l’aurore
Et reviennent le soir, par les mêmes chemins,
En pressant sur leur sein où l’amour vient d’éclore
La fleur au nom sacré qui parfume leurs mains !

Moi, je n’ai pas besoin pour que mon cœur palpite
De la lumière neuve et du soleil nouveau :
Un éternel avril en ma mémoire habite.
Que m’importe au dehors ce que chante l’oiseau !

Que m’importe la source où l’arbre doux se mire,
Et l’odeur de la terre et la couleur des cieux,
Puisque c’est sur ta bouche où sourit et respire
La rose d’un printemps que j’ai vu dans tes yeux !


LETTRE DE ROME


Je vous écris, ce soir, de la Ville Éternelle…
Sa poussière héroïque a touché ma semelle ;
Je respire une odeur de marbre et de laurier,
Et ma plume à mes doigts tremble sur le papier
En y traçant ce nom sonore et grave : Rome.
L’hôtel est convenable et l’hôtelier brave homme ;
Il a l’air d’être Suisse et porte un nom romain.
Ma chambre est vaste et l’on doit m’éveiller demain
A six heures. Je suis arrivé à la gare,
Qu’il faisait déjà noir. J’ai dîné. Mon cigare
Sera presque fumé sitôt ce mot écrit.
Puisse Rome être douce à ma première nuit !
D’elle, je n’ai rien vu qu’une ville quelconque,
Des maisons, une place où soufflait dans sa conque
Un Triton qui lançait un flexible jet d’eau,
Et maintenant, j’entends à travers le rideau
Les cloches, dans le ciel, d’une église voisine,
Et j’écoute mon cœur battre dans ma poitrine.
J’ai peur. Autour de moi, dans l’ombre où elle dort,
Rome est là, comme un fantôme de bronze et d’or,
Et mon esprit est plein d’une rumeur sacrée.
Rome est ainsi pour qui, longtemps, l’a désirée,