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d’être la chose. Giovanpaolo ne l’a-t-il pas prié, lors de l’entreprise d’Arezzo, de lui écrire une lettre où il lui commanderait de travailler à remettre les Médicis dans Florence, afin qu’il n’eût pas l’air de le faire pour l’amour de Vitellozzo ? « Cette lettre, il a eu la faiblesse de la lui donner. Mais ce Vitellozzo aussi est un drôle ! Lui, il voulait, abandonnant le duc au beau milieu du comté florentin, escalader nuitamment Prato. — Comment feras-tu ? lui avait-il dit. Et comment t’y maintiendras-tu ? — Et l’audacieux coquin de répondre : « Commençons toujours ; le milieu et la fin suivront par nécessité. » Il ajouta que « c’était son art de faire des trahisons. » L’art de qui ? de Vitellozzo ou de César ?

En ce moment même, tous les filets des Borgia sont tendus, à Rome, à Imola, à Pérouse, à Sienne, à Bologne ; les Orsini, Vitelli, Baglioni, Petrucci, Oliverotto sont entourés de tous les côtés, poussés dedans doucement ; Guido de Montefeltro est circonvenu. On offre 5 000 ducats à Paolo Orsini, pour faire déloger les troupes de Fano, — tout près de Sinigaglia. — On négocie, on ratifie, on se justifie, d’un bout de la Romagne à l’autre : jamais on ne s’est tant aimé ; jamais on ne s’est tant donné. Mais, de la part du duc, c’est plus que jamais le : « promène-les, » le : tiengli a bada. Ceux que César étourdit avec des passes savantes, le Pape achève de « les endormir avec des brefs. » Déjà ils sont enveloppés dans les plis et replis de cette marche ondoyante, dont personne ne sait par où elle les conduit, mais dont tout le monde sent qu’elle les conduit à leur perte. « Sa Seigneurie prend tout sur elle, et par quel chemin elle va, on ne sait, parce qu’il est difficile de l’entendre et de la connaître. » Tant de si, tant de mais, tant de portes et de fenêtres aux capituli, tant de trappes et de trous pour sortir de l’amitié et entrer dans la vengeance ! Tous ces accords sont « pleins de défiances et de suspicions. » Grâce aux manœuvres combinées du Pape et du duc, « la chose va s’embrouillant et procrastinant ; » et l’on ne saurait dire « si c’est art ou hasard. » Vis-à-vis des autres, vis-à-vis des neutres, César déploie tout son charme. Il se laisse, sans en être dupe, caresser par Venise, et, sans que Machiavel en soit dupe, il caresse merveilleusement Florence. Il chérit trop la Seigneurie ! Puisqu’elle ne lui offre que des generalia, soit ; il les accepte et il lui en offre autant en retour. Machiavel voudrait bien quelque chose de particulier, mais sans la condotta ; et, sans la condotta, le duc ne veut rien de particulier. Ce