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porte, et elle avait fait former la haie à ses chevaux, dont une partie tournait la croupe aux murs de la ville et l’autre au fleuve, laissant au milieu un chemin par où passerait le reste de l’armée :


Ce que fit le duc, — qui n’oubliait rien, — pour être maître de ce pont et pouvoir s’en servir à tout événement. Les mille Suisses et Gascons qui marchaient derrière l’avant-garde entrèrent alors dans la ville, et derrière eux vint le duc au milieu des Orsini et Vitelli ; pour qu’ils ne pussent plus s’en aller, une fois qu’ils seraient venus au-devant de lui, il avait ordonné à huit de ses confidens les plus intimes d’entretenir deux par deux chacun des condottieri, et dans…


Brusquement, la lettre s’interrompt ; la lacune s’ouvre au moment le plus pathétique, et ce serait une perte irréparable si la Descrizione, quoique plus guindée et plus froide, ne permettait pas de la combler. Les deux Orsini, Paulo et le duc de Gravina, et Vitellozzo Vitelli s’avancent, devisant de choses et d’autres, encadrés chacun de deux hommes sûrs.


Mais le duc, ayant vu qu’Oliverotto manquait, — car il était resté avec ses gens à Sinigaglia et s’occupait, devant la place où il était logé sur le fleuve, à les ranger et à les exercer, — fit de l’œil signe à don Michèle, à qui la charge d’Oliverotto avait été donnée, qu’il pourvût à ce qu’Oliverotto ne s’échappât point. Aussi don Michèle poussa-t-il son cheval, et, arrivé près d’Oliverotto, lui dit-il que ce n’était pas l’heure de rassembler son monde hors de ses logemens, parce qu’ils leur seraient enlevés par ceux du duc, qu’il l’engageait donc à les y faire rentrer, et à venir avec lui à la rencontre du duc. Et, Oliverotto ayant exécuté cet ordre, le duc survint, qui le vit et l’appela : Oliverotto lui fit révérence et l’accompagna avec les autres ; ils entrèrent avec lui à Sinigaglia, et descendirent tous de cheval au logement du duc ; et, étant entrés avec lui dans une chambre secrète, ils furent par le duc faits prisonniers. Lequel duc aussitôt monta à cheval et commanda que fussent dévalisés les gens de Liverotto et des Orsini. Ceux de Liverotto furent tous mis à sac, car ils étaient proches ; ceux des Orsini et Vitelli, étant loin et ayant pressenti la ruine de leurs maîtres, eurent le temps de se réunir ; et s’étant souvenus de la vertu et discipline de la maison Vitellesca, serrés ensemble, contre le gré du pays et des hommes ennemis, ils se sauvèrent. Mais les soldats du duc, non contens du sac des gens de Liverotto, commencèrent à saccager Sinigaglia, et si ce n’eût été que le duc, par la mort de beaucoup, réprima leur insolence, ils l’eussent saccagée toute. Mais, la nuit venue et les tumultes arrêtés, il parut à propos au duc de faire tuer Vitellozzo et Liverotto ; et les ayant conduits tous deux en un même lieu, il les fit étrangler. Où il ne fut usé par aucun d’eux de paroles dignes de leur vie passée ; puisque Vitellozzo demanda qu’on suppliât le Pape de lui donner de ses péchés indulgence plénière ; et Liverotto, en pleurant, rejetait sur le dos de Vitellozzo toute la faute des injures