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égratigné parmi les rochers, et son corps fourbu, et que la nécessité de gravir de fatigantes montagnes n’a pas causé un faible dommage à sa poitrine. » Constantinople lui produit l’effet d’une « prostituée peinte, le masque du péché mortel, avec des rues étroites et les constructions les plus difformes et les plus puantes du monde. » Plus tard, sur le chemin de Jérusalem, il constate que « les Arabes sont pour la plupart, brigands et voleurs, les Maures cruels et grossiers et que les Turcs, les moins mauvais des trois, ne valent guère mieux. « A Jérusalem, devant les lieux sacrés qu’on lui montre, il déclare que ce qu’on lui en dit est « tantôt ridicule, tantôt douteux, et tantôt d’une fausseté manifeste. » La célèbre Vienne, quand il la voit, l’écœure par « sa petitesse et sa pauvreté. » Visitant l’Irlande, il affirme que « les Arabes indomptés ou inapprivoisés, les Turcomans idolâtres du diable, les Caramines adorateurs de la lune vivent d’une vie moins bestiale que les Irlandais. » Mais il y a mieux que tout cela : l’ancien tailleur de Lanark va jusqu’à s’indigner de la manière dont les Turcs ont coutume de s’asseoir, estimant qu’ils « contrefont ainsi, très impudemment, la louable habitude des tailleurs industrieux ! » Dans cette manière de s’asseoir il voit un affront personnel, un outrage à la profession qu’il exerçait lorsqu’il avait encore ses oreilles !

Sans cesse sa mauvaise humeur native, jointe à une richesse monstrueuse d’imagination, lui fournit des occasions nouvelles de haïr et d’injurier toutes les races du globe, tous les climats, et toutes les religions, — la sienne exceptée, dont il parait bien se considérer comme le seul dépositaire vraiment orthodoxe : — encore qu’il y ait une de ces religions, le « papisme, » qu’il accable d’une détestation toute particulière, au point de s’interrompre vingt fois, dans le récit de ses aventures en Turquie ou en Mauritanie, pour déplorer que tous les souverains du monde ne se décident pas à torturer et à anéantir jusqu’au dernier représentant de cette « secte infernale et sodomique. »

Ce n’est pas lui que nous surprendrons jamais à s’émerveiller, comme le bon Coryat, des chefs-d’œuvre de l’art, en aucun pays : plutôt que de s’abaissera admirer un tableau ou une statue, il appellerait le feu du ciel sur ces maudites « idoles » païennes ou papistes. Il n’est pas sensible non plus à la variété des paysages, ni au charme des mœurs exotiques, ni même, si nous l’en croyons, à la grâce et à la beauté de la femme. De celle-ci il nous parle toujours avec une malveillance qu’il tâche à nous faire prendre pour l’expression d’une pudeur vertueuse : ce qui ne l’empêche pas de rechercher, évidemment, les anecdotes malpropres, sous prétexte de les signaler à notre