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dernier incident a-t-il fait perdre au gouvernement tout son sang-froid. M. le ministre des Cultes, dans les premières conversations qu’il a eues avec les journaux, a déclaré que nous entrions dans une phase nouvelle. — Jusqu’à ce jour, a-t-il dit, l’Église ne s’était pas mise en opposition avec la loi : elle vient de le faire, et cette attitude ne saurait être tolérée. Des mesures seront prises en conséquence. — Lesquelles ? on n’en sait rien ; il faut les attendre. Mais nous sommes dès maintenant aussi inquiets et attristés, nous partisans de la paix des consciences, que peuvent être satisfaits ceux qui ré vent d’une Église régénérée par la lutte et la persécution. Satisfaits, soit : mais sont-ils vraiment rassurés ?

Comment devinerions-nous ce que le gouvernement va faire ? M. Briand a exprimé une vague espérance qu’à défaut des archevêques et des évêques, le clergé inférieur s’affranchirait des ordres de Rome, sous prétexte qu’ils dépassent l’autorité spirituelle du Saint-Père. S’il l’a cru, fût-ce un moment, il s’est bien trompé. Le clergé et les fidèles continueront de former avec Rome un bloc irréductible, et ce n’est pas de nous que leur en viendra le moindre blâme, car la moindre division serait pour eux le pire des maux. On peut regretter, déplorer même un ordre venu du haut commandement en pleine bataille ; mais il faut l’exécuter. Les archevêques de Bordeaux et de Toulouse, qui avaient donné pour instructions à leurs curés de faire la déclaration de la loi de 1881, se sont empressés de se rétracter, et ils ne pouvaient pas s’en dispenser. Il n’y aura donc pas de déclaration. Si le Saint-Siège s’est donné pour unique but de mettre le gouvernement dans un grand embarras, certes, il l’a fait. L’absence de déclaration n’est qu’une contravention de simple police : la peine en est dérisoire. Mais de ces contraventions, combien y en aura-t-il ? Quarante mille, peut-être davantage, autant qu’il y a d’églises en France, autant qu’on dira de messes dans ces églises. Et elles se renouvelleront tous les jours. Qui ne voit par là l’absurdité des poursuites ? Et quel juriste pourrait en prévoir le résultat ? Supposons qu’on poursuive un curé ; le voici devant le juge de paix ; sa défense sera simple. Il soutiendra qu’il n’a nullement fait une réunion publique, d’abord parce que les réunions cultuelles n’ont aucun rapport avec celles qui ont été prévues et réglées par la loi de 1881, ce qui est incontestable ; ensuite, parce qu’il n’a convoqué personne et qu’il s’est contenté de dire la messe. Il aurait pu la dire ailleurs : s’il l’a dite dans l’église, c’est parce que les portes en étaient ouvertes et que le gouvernement avait fait savoir qu’il ne les fermerait pas. A moins que cette affirmation du