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désinvolture, d’autant plus qu’ils ont avec l’Amérique un traité qui, entre autres clauses, leur assure le traitement de la nation la plus favorisée. Cela leur donne-t-il le droit d’entrer dans les écoles publiques ? On dit oui à Tokio, mais on dit non, et très énergiquement, à San Francisco. M. le président Roosevelt a pris fait et cause pour les Japonais, au nom des principes généraux de civilisation et d’humanité dont il est l’apôtre convaincu, encore plus qu’au nom des traités. Le message qu’il a écrit à ce sujet est éloquent et courageux ; malheureusement, la surexcitation des esprits n’en a pas été apaisée à San Francisco, bien au contraire, et il est difficile de prévoir quelles seront les suites de cette dissidence. La Californie invoque le principe de l’indépendance des États dans leur administration intérieure, et M. Roosevelt le droit qu’a le gouvernement fédéral de conclure des traités internationaux auxquels tous doivent se soumettre. On en est là. Le mot de guerre a été prononcé par quelques journaux, beaucoup plus, il faut le dire, en Europe qu’en Amérique ou au Japon. La diplomatie a bien des ressources à épuiser avant d’en venir à ces redoutables extrémités, et M. le président Roosevelt, qui a si fort contribué à rétablir la paix entre la Russie et le Japon, ne la laissera certainement pas troubler entre le Japon et l’Amérique. Ne vient-il pas d’obtenir le prix Nobel pour les services qu’il a rendus à cette grande cause ? Le monde entier a applaudi à une désignation aussi juste. Toutefois, si la situation n’est pas immédiatement inquiétante, elle est grave, à cause des sentimens de plus en plus hostiles qui se manifestent contre les Japonais sur toute la côte du Pacifique, et aussi peut-être à cause des intérêts non pas opposés, certes, mais un peu différens qui existent entre les diverses parties de l’Union. Les faits, pour le moment, n’ont besoin que d’être signalés : on les a entourés de plus de bruit qu’ils n’en méritent. Mais, ceux qui cherchent des points noirs à l’horizon peuvent, dans un lointain brumeux, en apercevoir un de ce côté. Le bien voir est encore, sans doute, la meilleure condition pour s’en garantir et le dissiper.


FRANCIS CHARMES.


Le Secrétaire de la Rédaction, gérant,

JOSEPH BERTRAND.