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rapports des deux peuples plus compliqués et plus délicats, et il devint visible qu’il y avait à la fois entre eux beaucoup d’attrait et quelques antipathies.

Les sentimens des Grecs à l’égard des Romains se devinent facilement, quand on les connaît. Leur défaite ne leur avait pas fait perdre la bonne opinion qu’ils avaient d’eux-mêmes ; ils méprisaient les Romains qu’ils trouvaient lourds, épais, grossiers, et qui leur semblaient d’une race inférieure, mais il ne fallait pas le leur laisser voir. C’étaient les maîtres ; on les flattait pour obtenir leurs bonnes grâces, on les comblait de louanges mensongères, on leur prodiguait les témoignages de la plus basse servilité. Les Grecs éprouvaient donc pour les Romains un mépris sincère et affectaient une admiration de complaisance. Chez les Romains, c’était le contraire ; ils ne pouvaient se défendre d’admirer les Grecs en toute sincérité : et non seulement les lettrés, les gens de goût, étaient passionnés pour les œuvres de leurs poètes, de leurs savans, de leurs artistes, mais dans toutes les classes de la société on se sentait attiré vers eux par la souplesse de leur esprit, l’agrément de leurs manières, l’art qu’ils avaient de se plier à toutes les circonstances, de trouver des ressources dans toutes les occasions, d’être propres à tous les métiers. Quand ils s’étaient glissés dans une maison, ils y devenaient bientôt indispensables, et l’on ne pouvait plus se passer d’eux. Cependant c’était un devoir pour le maître de garder sa dignité de Romain et son attitude de victorieux. Il avait donc soin de cacher en leur présence ce qu’au fond il ressentait pour eux. Souvent même il les raillait, il leur disait de dures vérités, il avait l’air de les mépriser. Eux ne s’en préoccupaient guère : ils savaient bien que ce mépris n’était qu’une apparence, et qu’il recouvrait une admiration réelle.

Il suit de là qu’en réalité l’hellénisme ne devait pas rencontrer à Rome de résistance bien sérieuse. Caton lui-même, qui fut son ennemi le plus acharné, se contenta de protestations bruyantes et ne prit pas contre lui de mesures efficaces ; comme il lui est arrivé souvent dans sa carrière politique, il fit plus de bruit que de besogne. Il n’en est pas moins vrai que ceux qui travaillaient ù le faire triompher avaient quelques précautions à prendre et qu’il leur fallait ménager l’amour-propre national. Les philhellènes des premiers temps, dans leur enthousiasme de néophytes, étaient allés trop vite et trop loin. On avait vu le