mœurs lâches et anthropophages gonflaient le cœur de mépris et d’horreur. On peut imaginer les heures d’hallucination où, sur ces landes muettes de brousse, les lignes rampantes des lianes, le passage des ombres derrière les bosquets, le cliquetis de l’alizé dans les feuilles de ravenalas ou la plainte prolongée des filaos, tout palpita d’un mystère animal : l’attention passionnée tend alors l’intelligence qu’elle élargit, et les émigrés, dans une soudaine illumination, voient profondément le pays qu’ils ignorent, et, de ce contact violent, y restent attachés. Ils occupèrent aisément la côte Est, repoussant les sauvages dans le Sud et le Centre.
Vers le VIIe siècle, après une immigration de tribus préislamiques qui fuyaient le mahométisme et qui se perdirent vite à l’intérieur de l’île[1], les Arabes débarquèrent sur cette côte qui dut les séduire aussitôt, dans une double émotion de conquête et de nostalgie, par sa double apparence de désert ceignant un jardin aux lignes capricieuses d’oasis, par l’odeur des dunes et la couleur des arbres pareille à celle des cyprès.
Ayant pour désert l’Océan austral, pour simoun la mousson, pour tente la voile triangulaire d’un boutre recourbé en croissant et pour étoile du berger la Croix du Sud, les Arabes au Xe, au XIIe, au XIIIe siècle cinglèrent encore vers Madagascar. Ils l’appelèrent Komri, la comptant au nombre des colonies qu’ils échelonnaient surtout le pourtour de la mer des Indes, de Ceylan à la baie Delagoa, littoral persan, côte d’Oman, Zanzibar, Mozambique, les Comores, et que des trafics de boutres reliaient en un immense empire de comptoirs. L’histoire a retenu le nom de ceux-là seulement qui débarquèrent au XIIIe siècle : les Zafiraminia. Ils vivaient avec frénésie les merveilleux rêves de découvertes des Mille et une Nuits, se grisant d’étendre par la mer leur nomaderie terrestre. L’imagination scintillant d’idées de trésors cachés[2], l’esprit ébloui de visions de montagnes d’émeraude et de plages d’ambre, portant des turbans colorés et des armes incrustées comme des bijoux, ils parcoururent avec fièvre ces régions barbares, sans se laisser dépayser par la sombre abondance des végétaux sur un ciel verdi où ils attendaient à chaque minute le vol formidable de l’épiornis (l’oiseau Rock). Le soir, au lieu de dresser la tente, ils habitaient le