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V

L’unité chimique des êtres vivans n’est pas douteuse. On peut résumer l’œuvre de la chimie physiologique depuis trois quarts de siècle en disant qu’elle a établi la très grande analogie de composition de leur substance fondamentale. Cette identité essentielle de composition des corps organisés est le meilleur soutien de la conception d’un fonds vital universel. Historiquement, elle en a, d’ailleurs, fourni la première expression.

n y a donc une matière vivante : Buffon l’a déclaré le premier ; mais il s’en faisait une idée fausse, il croyait à une sorte de « corps simple » dépositaire d’un rudiment de vie, exclusif aux animaux et aux plantes. Ce n’est pas cela : ce n’est pas davantage un principe immédiat, une substance chimiquement définie : c’est un complexe, caractérisé à la fois par un arrangement physique colloïdal encore inconnu et par un mélange en proportions variables de certaines matières protéiques : c’est une sorte de constellation dont l’analyse chimique ne sait recueillir que les débris.

Cette matière vivante, nommée protoplasme par la plupart des anatomistes, peut être considérée, dans une première approximation, comme une substance unique, sans forme dominante, identique dans les animaux et dans les plantes ; c’est en elle que s’incarne la vie dans ce qu’elle a de simple, d’universel et de permanent, la vie à l’état de nudité, dépouillée de tout attribut accessoire. Huxley en faisait « la base physique de la vie. » Les organismes vivans, « leurs divers rouages, les cellules, nous représentent seulement des moulages différens de cette matière unique[1]. — Jetée dans différens moules, entourée d’une enveloppe, munie d’un noyau, la matière protoplasmique constitue la base de toute organisation animale ou végétale. »

Il ne faut voir dans ces formules de Claude Bernard qu’une première approximation de la vérité réelle. Le protoplasme n’est point, en effet, une substance unique, mais une catégorie de substances qui peuvent être distinguées et sériées et qui se caractérisent précisément par leur instabilité. Il n’y a point un seul protoplasme ; il y en a une infinité, autant qu’il y a d’individus distincts et, peut-être, de parties distinctes dans l’individu. Mais cette variété ne repose certainement

  1. Ce sont les phrases textuelles dans lesquelles se traduisait la pensée de Claude Bernard. Revue philosophique de 1879, p. 305 et 407.