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Car la conquête franque, telle qu’il la définit, ne fut pas, à proprement parler, une spoliation : les indigènes restèrent en possession de leurs biens ; les terres du fisc, les domaines abandonnés, suffirent aux convoitises des nouveaux venus. « De vainqueurs et de vaincus, il n’en fut pas un instant question ; il y eut des Francs de la veille et des Francs du lendemain, et rien de plus. La seule barrière qui séparât les deux races, c’était la différence de religion ; mais le baptême de Clovis et de ses fidèles vint bientôt la renverser. Alors de fréquens mariages rapprochèrent et confondirent la famille germanique et la famille romaine : au bout d’une ou deux générations, toute trace d’une différence d’origine avait disparu[1]. »

En Burgondie, en Wisigothie, royaumes ariens, les vainqueurs se distinguaient des vaincus, pesaient sur eux, les opprimaient : c’était « une soudure maladroite d’élémens hétérogènes et incompatibles, qui ne tenaient ensemble que par l’inquiète sollicitude d’un seul homme, et dont la dislocation commençait d’ordinaire sous ses propres yeux. » Le royaume franc, au contraire, offrait le spectacle d’une « fusion si harmonieuse et si profonde que toute distinction entre les matériaux qui entraient dans l’œuvre disparaissait dans son unité absolue[2]. »

Nous voilà loin, singulièrement loin, des vieilles affirmations d’Augustin Thierry, d’après lesquelles « l’orgueil, chez les Francs, était plus fort et plus hostile aux vaincus que chez les autres Germains ; » nous voilà loin de ce système, plus politique que scientifique, d’après lequel « le mépris intraitable des derniers conquérans de la Gaule pour qui n’était pas de leur race aurait passé, avec une vieille portion des mœurs germaniques, dans les mœurs de la noblesse du moyen âge[3]. » M. Kurth accuse Augustin Thierry d’avoir « passé à côté d’une des plus magnifiques révélations de l’histoire sans même s’en apercevoir[4] ; » et le somptueux ouvrage qu’il consacre à Clovis est un éloquent exposé de cette révélation.

De deux races, Clovis n’en fit qu’une ; ce fut là son

  1. Kurth, Clovis, p. 266-267 (Paris, Mame, 1895).
  2. Kurth, Ibid., p. 584.
  3. Augustin Thierry, Récits des temps mérovingiens, I, p. 195.
  4. Kurth, Revue des Questions historiques, LVII, 1895, p. 399.