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IV

Mais en même temps, — et c’est là peut-être le plus beau titre scientifique de M. Godefroid Kurth, — il a su retrouver, à travers la période mérovingienne, un caractère commun à nos annales primitives et aux annales des autres peuples ; il définit ce caractère en un mot, il l’appelle « l’épopée. » Le terme est susceptible d’équivoque, et l’on croirait à tort qu’aux regards de M. Kurth tous les récits mérovingiens qu’il signale comme fictifs devraient prendre place dans le catalogue de notre littérature épique. Il a, tout le premier, souvent protesté contre cette exagération. « J’ai qualifié épique, écrit-il, tout récit qui a passé par la bouche du peuple et qui s’y est transformé selon les lois ordinaires qui régissent ce genre. Que les traditions qui nous ont fourni les récits légendaires des Francs soient en langage rythmé ou non rythmé, cela n’a pour l’histoire qu’une importance secondaire[1]. »

Que les anciens Germains eussent des chants dans lesquels ils célébraient leurs dieux et leurs héros, Tacite déjà l’affirmait. Leur spontanéité poétique survécut aux invasions : les traditions épiques des Ostrogoths se perpétuaient dans l’épopée germanique, où le personnage de Dietrich von Bern apparaît comme un lointain revenant de ce peuple disparu ; celles des Lombards se condensèrent, toujours touffues, toujours vivantes, dans l’œuvre historique de Paul Diacre ; celles des Saxons furent exploitées par le moine Widukind, et il ne tint pas aux efforts du roi Alfred le Grand que les chants archaïques des Anglo-Saxons ne fussent conservés avec une tenace piété. Se pourrait-il que, seuls entre les barbares, les Francs n’eussent pas trouvé de charme à se redire, de bouche en bouche, de grandioses et tragiques histoires ? Ils chantaient, nous le savons, lorsque, au IVe siècle, l’empereur Julien leur donnait assaut ; ils chantaient au Ve siècle, au soir de malheur où, dans les plaines de l’Artois, Aétius les surprenait au milieu d’un festin de noces. Ils exaltaient, plus tard, leur roi Clotaire II, dans certains vers dont une vie de saint nous a conservé l’échantillon.

Dès 1846, ces indices occupaient sans doute la pensée de

  1. Kurth, les Études franques, p. 8-9 (Mémoire lu au congrès bibliographique international tenu sous les auspices de la Société bibliographique, 1898).