Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux imputés par les chroniques sont éclos, tout d’une pièce, dans l’imagination des rapsodes francs. La mort tragique de Sigismond, roi des Burgondes, frappa ces consciencieux rapsodes : pour la faire comprendre et se l’expliquer à eux-mêmes, ils l’encadrèrent dans un cycle de légendes antérieures, dont a pâti, pendant des siècles, le renom de Clovis et de son épouse. Qu’on cesse donc d’alléguer ces légendes pour avancer que Clovis fut un médiocre chrétien et Clotilde une médiocre sainte : tout ce qu’elles prouvent, c’est que l’idéal chrétien demeurait encore sans prise sur les cerveaux qui les forgeaient, et sans attrait pour les lèvres qui les chantaient. L’histoire de Chilpéric, de Frédégonde, de Brunehaut[1], comporte et exige de pareils émondages.

Le procédé rappelle celui des Bollandistes ou de Mgr Duchesne lorsque, malicieusement blottis derrière le pupitre d’un bon moine hagiographe, ils surprennent et dénoncent les pieuses industries par lesquelles le pauvre homme se donne l’illusion de grandir un saint. De part et d’autre, la tâche de l’érudition critique consiste à reconstituer, si l’on peut ainsi dire, les phases du travail auquel s’est livrée l’imagination du peuple ou l’imagination du moine ; lorsque la reconstitution est achevée, l’œuvre même de ces imaginations s’écroule, et c’est un allégement pour l’histoire. Le patient abbé Gorini s’évertuait, il y a soixante ans, à plaider les circonstances atténuantes pour les taches de sang que Clotilde avait sur les mains ; M. Kurth, par le jeu même de sa méthode, a trouvé une façon plus expéditive de les laver ; et si la critique s’est montrée souvent impitoyable pour tant d’anecdotes parasites qui enjolivent l’histoire de certains saints, voilà que succombent devant elle, dans l’Histoire poétique des Mérovingiens, les récits importuns qui donnaient une mauvaise idée de sainte Clotilde[2]. L’hagiographie conservatrice cherchait à la sainte des avocats ; mais l’histoire critique, avec M. Kurth, délivre une ordonnance de non-lieu.

Au terme de ce vaste ouvrage, si le champ de l’histoire proprement dite semble s’être appauvri et rétréci, le champ de

  1. Kurth, Revue des Questions historiques, L, 1891, p. 1-79.
  2. « La critique historique, observe à ce propos M. Kurth lui-même, n’est pas toujours cette force purement négative redoutée des hagiographes crédules ; en détruisant des légendes invétérées, il lui arrive parfois de réédifier une vérité plus belle que la légende. » (Sainte Clotilde, p. 159-160, 8e édit. Paris, Lecoffre, 1905).