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ciaux ont été mis à la disposition des sociétaires ; des régates de bateaux-modèles organisées. Tous les samedis, jours fériés et dimanches, la lanterne magique alterne au programme du soir avec les auditions de phonographe. En temps normal, l’Abri délivre gratuitement à ses sociétaires, pour leur correspondance, encre, plumes, papier. Il leur prête gratuitement des livres, car il a une bibliothèque, composée surtout de manuels nautiques et de récits de voyage ; de plus, M. de Thézac publie chaque année un Almanach du marin breton, qui est un modèle du genre. Gratuitement encore, le sociétaire blessé reçoit à l’Abri un premier pansement (par parenthèses, on n’imagine pas ce qu’il se soigne dans les Abris de « taïous de mer, » ces terribles furoncles du poignet si fréquens chez les pêcheurs). Étonnez-vous, après tout cela, que les Abris, qui ne sont encore qu’au nombre de huit[1], reçoivent bon an mal an de 3 à 400 000 visites. Du 13 janvier au 4 décembre 1906, leurs postes de couchage avaient hospitalisé 1 705 marins en relâche ; infirmiers volontaires, les gardiens avaient fait 2 342 pansemens et distributions de remèdes gratuits. Les chiffres ont leur éloquence : 400 000 visites à l’Abri, c’est 400 000 visites de moins au cabaret… Et voilà bien pourquoi les Abris ont rencontré tant d’ennemis, assez fins manœuvriers pour avoir su gagner la Fédération des marins pêcheurs à leur cause. Ce fut une stupeur sur le littoral, quand cette Fédération, dans son dernier Congrès, signala les Abris comme des lieux de perdition où les jeunes gens étaient « attirés par l’appât du gain » et « contractaient des habitudes de paresse. » Protestations, démentis plurent de toutes parts, et la Fédération en fut pour sa courte honte. Une œuvre de solidarité sociale à laquelle on ne peut découvrir aucune arrière-pensée d’intérêt personnel est un phénomène si rare que les débitans bretons n’y peuvent croire encore. Telle est bien pourtant l’Œuvre des Abris… Et j’ai dit que logement, médicamens, pansemens, outils, jeux, livres, encre, papier, boisson[2], tout était délivré gratuitement aux

  1. Sur l’initiative du Dr Burot, le philanthrope rochefortais bien connu, s’est fondé récemment, à l’imitation des Abris de la côte bretonne, l’Abri du marin de Fouras.
  2. Car on boit à l’Abri. Seulement on n’y boit pas d’alcool, même pas de vin, de cidre. On y boit… de la tisane d’eucalyptus, boisson éminemment inoffensive, pour laquelle les pêcheurs montrent une véritable passion. C’est en janvier 1904, il y a trois ans donc, qu’un hasard, qualifié par M. de Thézac de providentiel, fit essayer dans deux Abris l’infusion chaude et sucrée de feuilles d’eucalyptus. Tout de suite les marins furent conquis : en six semaines, 18 000 tasses furent bues. Il fallut bien vite généraliser l’emploi de cette tisane merveilleuse. Tous les Abris en demandaient. Les gardiens de ces établissemens étaient débordés. « Monsieur, écrivait l’un d’eux, Huchon, du Passage-Lanriec, à M. de Thézac qui l’avait prié de ménager le sucre dans ses distributions de tisane, — hélas ! les ressources de l’Œuvre sont limitées, — pour l’avenir je vais supprimer un peu de sucre, tel que vous me le dites ; mais, pour la quantité des tasses de boisson, il me sera un peu difficile de diminuer ; ayant l’habitude de faire deux distributions par jour, les marins connaissent les heures de distribution, et, surtout les jours de mauvais temps, ils arrivent comme au pillage !… »