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de la maintenir pendant quelque temps, la voilà qui devient ancienne et elle est suffisamment prouvée. » Ajoutez la prévention créée en faveur du scepticisme et de la négation : « Le témoignage de ceux qui croient une chose déjà établie n’a point de force pour l’appuyer, mais le témoignage de ceux qui ne la croient pas à de la force pour la détruire. Ceux qui croient peuvent n’être pas instruits des raisons de ne point croire, mais il ne se peut guère que ceux qui ne croient point ne soient pas instruits des raisons de croire. » La méfiance éveillée à l’égard du miracle, le ridicule jeté sur la crédulité des peuples, l’odieux sur la fourberie des prêtres, il n’y manque à peu près rien de ce qui défraiera bientôt la campagne anti-religieuse. Et nous sommes en 1687 ! Et c’est l’année où Bossuet prononce l’oraison funèbre de Condé !

Fontenelle n’a que trente ans : il a déjà écrit ses deux livres les plus retentissans ; il lui reste à faire la partie la plus solide de son œuvre, celle par laquelle s’exercera son influence de la façon la plus profonde et la plus durable. En partie à cause du succès des Mondes, en partie grâce à la protection du Duc d’Orléans, il est nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Il va, à ce titre, élire définitivement domicile dans le monde des savans : il lui a rendu autant de services qu’il en a reçu. Les Éloges des Académiciens, sont ses chefs-d’œuvre ; et ce sont les chefs-d’œuvre d’un genre. Fontenelle n’est pas, à proprement parler un savant ; mais il est, à un rare degré, familier avec toutes les sciences, et, peu à peu, il est arrivé à s’assimiler, lui, le littérateur impénitent, l’esprit scientifique. Il se meut avec une aisance extraordinaire à travers les théories et les systèmes : il excelle à débrouiller, dans l’œuvre commune, l’apport de chacun ; et de même il sait écarter tout ce qui est de surcroît pour dégager et mettre en valeur l’essentiel. Il explique les choses de façon sommaire, cela va sans dire : « Voici le gros du système… » Mais s’il se borne aux grandes lignes, il ne dérange pas l’harmonie de l’ensemble. Il met la science à notre portée, sans pourtant l’abaisser. Mieux parfois que les savans dont il résume les découvertes, il sait apercevoir les conséquences philosophiques qu’elles entraînent. Ainsi il jette dans la circulation une foule de notions qui, à l’époque, sont nouvelles et qui, en effet, vont renouveler l’atmosphère intellectuelle. Et non seulement il donne au public une haute idée de la science, mais, ce qui est très important quand on s’adresse à la foule toujours empressée à personnifier une idée dans un individu et à juger de l’œuvre par l’homme, il modifie complètement l’opinion qu’on se