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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/465

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Lorsque, à Paris, nous nous trouvions immédiatement sur le point de mourir de faim, plus d’une occasion s’est offerte à toi de te sauver en me laissant à mon sort ; un seul mot de toi, et Mme de Zech t’aurait emmenée avec elle à Gotha, ou bien encore Mme Leplay t’aurait prise pour compagne de voyage : pourquoi donc, alors, n’as-tu jamais parlé d’une « nécessité » de nous séparer ? Alors, vois-tu, je n’aurais rien eu à te répondre ! Mais maintenant, où je sens que je tiens de plus en plus mon avenir dans mes mains ; maintenant, je te le demande, pourquoi me parles-tu de cette nécessité ? Dis-moi donc ce qui, tout d’un coup, t’a rendue si peureuse ?…

Viens, viens, viens ! Et tout de suite ! Lundi, lundi ! Ah ! si nous pouvions être déjà à lundi !


Mon cher vent du Sud, souffle encore plus fort[1] !
Tout mon cœur désire et appelle ma Minna !


Adieu, ma chérie, ton

Richard.


On n’a pu retrouver encore, malheureusement, qu’un très petit nombre des lettres écrites par Wagner à sa « Minna ; » mais toutes nous font entendre le même ton de simple, familière, et cordiale tendresse, soit que le mari rappelle à sa femme les souffrances supportées en commun, ou qu’il se plaise à évoquer les joies qui s’y sont mêlées. Le 15 mars 1844, il lui écrit de Berlin, où il est venu pour quelques jours : « Les courts instans de mon passage à Magdebourg m’ont fait une impression extraordinaire. Le train longe la partie du rempart où, si souvent, nous avons fait maintes promenades désespérées, lorsque le vent d’hiver consentait à s’interrompre. Dieu ! quand je pense à ces momens ! Et il y a maintenant dix ans que nous nous sommes réunis, là-bas, pour la première fois : quels vieux amoureux nous voilà devenus ! Continue de m’aimer, et porte-toi bien, ma chère vieille femme-de-mon-cœur ! Aie bon courage, et dis-toi que tout n’est pas aussi mauvais, dans le monde, que cette misérable plume que m’a donnée le garçon de l’auberge ! Adieu, Mienel ! Bien, bien des baisers de ton Richard ! » Lorsqu’il s’enfuit de Dresde, après sa malheureuse aventure politique de 1849, sans argent, sans espérances, contraint à se cacher sous un faux nom, son unique souci est de trouver le moyen de faire venir sa femme près de lui. « Le martyre que j’éprouve est affreux, — écrit-il à son beau-frère Avenarius, de la Ferté-sous-Jouarre, le 18 juin 1849 ; — je maudis chaque jour qui passe sans m’apporter des nouvelles de Minna. » Et l’on comprend que, même après la rupture et la séparation, le lien qui avait attaché ces deux cœurs l’un à

  1. Allusion aux premiers vers d’une chanson du Hollandais Volant.