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leur tour de sacrifier à une préférence politique le salut des âmes et l’avenir de la religion en France. Les purs répétaient que les concessions avaient tout perdu, les autres répondaient que les plus grands efforts de révolte n’avaient abouti qu’à des catastrophes, et le pis était que ni les uns ni les autres n’avaient absolument tort. Une controverse se poursuivait entre l’école de Saint-Sulpice et les docteurs de l’intransigeance, qui manquaient de charité chrétienne. L’abbé Emery était traité par eux en apologiste de toutes les défaillances. Ses partisans le soutenaient avec conviction. Mandemens et écrits contradictoires circulaient sous main et se heurtaient. La France se remplissait de « schismes partiels[1]. » Dans les villes, voici d’aigres colloques entre ecclé. siastiques, entre laïques, où l’on argumente à force sur le plus ou moins de soumission que l’on doit au pouvoir temporel ; les femmes s’en mêlant et prouvant « ce que peut l’esprit de parti sur une tête de femme[2] ; » des théologiennes et des docteuresses en remontrant à leur curé ; la paix des ménages troublée, le mari inclinant à la modération, la femme intransigeante ; l’angoisse des consciences se prolongeant ; la question des acquisitions de biens ecclésiastiques toujours pendante au tribunal de la pénitence ; les incertitudes et les réticences du confessionnal ; dans les villages, de grosses rixes de femmes et d’enfans se gourmant à propos de deux curés qui se disputent l’église et se qualifient mutuellement d’intrus. Au grand silence de l’oppression succédait un bruissement de voix discordantes.

Les autorités locales interviennent quelquefois dans ces querelles et se mêlent de faire entre les cultes office de juge de paix ou de gendarme. Le préfet de la Manche, pour mettre la paix dans une commune, invite les habitans à faire leur choix entre deux prêtres concurrens : « le maire ne pouvant, faute de temps, constater le nombre des sectateurs de chaque ministre, les invita à se départager en passant chacun du côté de celui qu’ils préféraient. La majorité presque générale se rangea autour du citoyen Gilette. » Vingt personnes environ s’étant rangées du côté de son adversaire, « il leur a été désigné en conséquence à chacun des heures différentes (pour officier]. Par ce moyen, la tranquillité publique et la liberté des cultes n’ont souffert

  1. Lettre d’Émery du 15 mai 1800, citée par l’abbé Sicard, III, 356.
  2. Lettre de l’évêque Mercy, 20 juillet 1801. — Abbé Sicard, III, 366.