Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de morale civique ; ils enseigneraient en même temps le catholicisme, mais c’est « un mal nécessaire[1]. » Fourcroy parle de républicaniser le catéchisme, en attendant que Napoléon l’impérialise. Frochot, préfet de la Seine, appelle une réforme du christianisme. Les rédacteurs de la Décade philosophique se résigneraient à une religion même publique, pourvu qu’elle ne fût pas dominante, mais leurs préférences vont au culte constitutionnel. Tous constatent néanmoins que l’expérience de déchristianisation a totalement échoué. Spectacle exemplaire que ces penseurs, ces savans, reconnaissant leur impuissance à confondre la foi des simples, proclamant leur défaite, avouant leur humiliation. Douloureusement, ces orgueilleux d’esprit s’inclinent devant le Dieu des humbles, et les voici répétant la parole attribuée à l’Apostat mourant, à l’empereur Julien : « Galiléen, tu as vaincu ! »

La Vendée, l’Ouest entier, telle était surtout la réalité de sang et d’horreur qui avait détrompé les sectateurs de la raison pure et consterné ces idolâtres. Ailleurs, la résistance à l’effort anti-religieux, bien qu’elle se fût manifestée par une infinité de tumultes sporadiques, avait été surtout passive. Contre les lois décadaires, la France presque entière s’était faite délinquante ; elle ne s’était pas levée en masse pour les détruire. Dans l’Ouest, une population de plusieurs millions d’âmes s’était trouvée pour se battre à outrance, pour se laisser fusiller, mitrailler, décimer, plutôt que de renoncer à la foi des ancêtres. Ce peuple s’apaisait depuis que l’on avait rendu à son culte des facilités réelles, mais la simple tolérance est en soi arbitraire, précaire, et la soumission demeurerait provisoire tant que la tolérance léserait. Bonaparte se rendait compte qu’à moins de conférer au culte des garanties positives, légales, il ne finirait jamais la grande sécession de l’Ouest. Pendant la négociation du Concordat, le nom de la Vendée reviendra plusieurs fois sur ses lèvres ; il aura toujours sous les yeux la grande plaie à fermer. On doit le reconnaître, le sang versé à flots dans l’Ouest fut pour le catholicisme français la semence de salut. En tant que royaliste, l’insurrection échoua ; elle réussit en tant que catholique, puisqu’elle obligea le vainqueur de céder finalement au vaincu l’objet de la lutte, c’est-à-dire l’exercice du culte. Jusque-là, toutes les pacifications,

  1. Rocquain, 153.