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malheureux : ses propriétés de Savoie avaient été confisquées comme biens d’émigré, et les fonctions de confiance qu’il exerçait au nom du roi de Sardaigne ne lui assuraient qu’un très modique traitement. Néanmoins, plus haut que son infortune, l’esprit toujours en éveil, il consacrait philosophiquement ses loisirs à observer les événemens retentissans qui mettaient à cette heure l’Europe en feu et à écrire les réflexions qu’ils lui suggéraient. On sait que ses Considérations sur la France sont le fruit de ses méditations à cette première étape de son exil.

Imprimé à Neuchâtel, l’ouvrage paraissait à la fin de 1796, sans nom d’auteur, Joseph de Maistre étant convaincu qu’il n’aurait pu signer ce plaidoyer en faveur de l’ancien régime sans compromettre aux yeux du gouvernement français le souverain qui l’honorait de sa confiance et sans encourir sa disgrâce. Mais son éditeur avait été moins discret que lui. Déjà son nom, qu’il s’était appliqué à cacher, circulait sous le manteau parmi les nombreux admirateurs de cette œuvre aussi puissante qu’actuelle.

Le succès en avait été, dès le premier moment, considérable et retentissant. Au commencement de 1797, la première édition était presque épuisée. Dès le mois de juillet, tandis qu’à Paris et à l’insu de Joseph de Maistre, elle se réimprimait, lui-même en préparait une seconde en vue de laquelle, sur le conseil du fameux Fauche-Borel, il avait traité avec un libraire de Baie. De Turin où la conclusion de la paix entre la France et le Piémont, — paix humiliante et onéreuse pour celui-ci, — venait de lui permettre de rentrer, il surveillait l’impression de cette édition nouvelle.

C’est à ce moment, — août 1797, — qu’il reçut par l’entremise de Fauche-Borel une lettre datée de Blanckenberg en Allemagne, qui lui causa la plus vive satisfaction. Elle était signée du comte d’Avaray, le confident et le conseiller de Louis XVIII. Le prince avait lu les Considérations sur la France ; on lui en avait nommé l’auteur, et, bien qu’il ne le connût pas, il avait eu à cœur de lui faire savoir combien le charmait et l’enthousiasmait la lecture de ces pages ardentes, où l’on sentait vibrer une âme de royaliste.

Pour des causes qui nous échappent, la lettre de d’Avaray, en date du 30 juillet, ne figure pas parmi les minutes de sa correspondance.