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« Ce qui continue à me crever le cœur, c’est cette guerre de Suède[1]. Vous aurez appris peut-être qu’elle a coûté la vie, il y a deux mois, plus ou moins, au prince Michel Dolgorouky. C’était à peu près ce que je connaissais de meilleur ici. Vous apprendrez bien d’autres choses. Il y a sûrement une personnalité contre ce malheureux Roi. Vous l’aurez probablement vu chez lui. J’espère encore qu’il se tirera de là.

« Mon cher comte, soyez sûr que je ne vous oublierai jamais. Vous devez, suivant le cours de nature, demeurer dans ce monde bien longtemps après moi ; cependant, nous pouvons encore y vivre quelque temps ensemble, et pendant que ce temps durera, je ne cesserai d’espérer que je pourrai encore vous voir, vous embrasser et vous donner tous les témoignages du cas infini que je fais de votre personne et de mon éternel attachement.

« Mon fils qui se porte à merveille me charge de vous offrir ses respects. Tout à vous, cher comte, dans les siècles des siècles.

« Toujours Catherine Canal, n° 42.

« Le petit baron[2] est toujours plus enragé que jamais. Souvent, en le voyant, je pense à vous, et je vous vois avec votre aiguillon presser ses flancs poudreux. Il n’y a plus personne ici qui le tourmente. C’est dommage.

« Cet incroyable baron de Stedting[3] n’a jamais voulu me répondre sur cette lettre au sujet de laquelle je vous avais prié de lui parler. Vous l’avez vu remettre au valet de chambre. Dès lors, silence. C’est cependant bien cruel. »


Après ces confidences, plusieurs mois s’écoulent sans que Joseph de Maistre reçoive des nouvelles de son ami, bien que lui-même, durant ce long intervalle où sont rares les occasions de lui faire passer ses lettres, lui ait écrit deux fois. Il apprend enfin, non directement, mais par des communications de la princesse de Tarente et du comte de Brion, que cet ami, déjà si cher, est établi auprès du Roi à Hartwell, en pleine possession de sa confiance, et que d’Avaray, à la suite de sa douloureuse querelle

  1. Alexandre avait déclaré la guerre à la Suède où régnait Gustave IV, afin, disait-il, de la détacher de l’Angleterre et de rendre libre la Baltique. La paix fut définitivement conclue au mois de novembre 1809, après la chute de ce prince.,
  2. Sous ce nom est désigné un cheval qui avait appartenu à Blacas.
  3. Ministre de Suède à Saint-Pétersbourg. La guerre survenue entre son pays et la Russie l’avait obligé à quitter cette capitale. Il était retourné à Stockholm où il fut le témoin de la Révolution du 13 mars 1809, qui renversa Gustave IV.