Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/645

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

route du Drang nach Osten vers la mer Egée ; mais ni les uns ni les autres, ni ceux qui l’auraient redouté, ni ceux qui auraient pu le souhaiter, n’imaginaient pour la Bulgarie ou pour la Serbie un destin autonome et un avenir indépendant.

On eut bientôt l’occasion de regretter que la préoccupation exclusive d’un équilibre européen fondé sur l’équivalence des satisfactions accordées aux grandes puissances, ait fait oublier que le seul ordre durable est celui qui s’appuie sur les vœux des populations et sur leurs affinités réciproques ; cette émancipation incomplète des nationalités balkaniques, qui ne les soustrayait au joug turc que pour les mettre sous la férule européenne, devait fatalement engendrer de prochaines complications : les États inachevés que l’on créait dans la péninsule devaient tendre à s’agglutiner les élémens qui avaient avec eux une parenté de race ou une communauté d’histoire. Si la Russie et l’Autriche avaient compté sur le sentiment de la reconnaissance pour maintenir dans l’orbite de leur influence les petits États balkaniques, elles avaient fait un faux calcul : pour les peuples comme pour les individus, la reconnaissance ne vaut que par la spontanéité, mais dès que le bienfaiteur prétend l’imposer, dès qu’il réclame ses honoraires, même légitimes, il ne récolte que de l’ingratitude. Dans l’émancipation des chrétientés balkaniques, au XIXe siècle, la pression de l’opinion publique, en Russie notamment, ou les sentimens généreux d’un souverain comme Alexandre II ont eu leur part, mais « les intérêts des princes, » comme on disait au XVIIe siècle, sont toujours restés l’élément déterminant et directeur. Les nations des Balkans ont su garder, pour les services réellement rendus, la gratitude qui convient, et, quelles que soient les querelles des gouvernemens, le souvenir des fraternités d’armes, de sang et de religion subsiste très vivace et crée, par-dessus les ministres et les diplomates, une solidarité réelle des peuples. Mais il était inévitable que ces jeunes États travaillassent à l’achèvement de leur indépendance avec une énergie redoublée par les efforts mêmes que l’on multipliait pour les retenir dans les liens d’une demi-vassalité ; une évolution naturelle les entraînait à affirmer leur personnalité et à s’agréger les élémens de même race et de même sang : cette double tendance régit l’histoire de la péninsule des Balkans depuis le traité de Berlin. Le principe des nationalités, issu de la Révolution française, est loin d’avoir épuisé, en Orient,