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non contente de vouloir égaler la femme à l’homme, exige qu’on n’établisse entre eux aucune différence : la femme peut faire tout ce que fait l’homme. Qui n’accordera qu’une pareille revendication soit purement destructrice ? Elle conduit en effet à détruire chez la femme toute notion de pudeur. Or, la pudeur est, non pas seulement une de ses parures, un de ses charmes, une de ses grâces, mais son essence même. Ni un chrétien, ni un honnête homme ne peuvent concevoir une femme, méritant ce nom, qui n’aurait pas de pudeur. Qui dit pudeur, dit respect de soi-même, respect de son corps ainsi que de son âme, décence des mœurs, fidélité aux sermens, et, comme on s’exprimait sous le Grand Roi, souci de sa gloire : si l’on détruit la pudeur de la femme, si on lui prêche et si elle croit que les amours successives n’entraînent pas la déchéance, mais au contraire enrichissent sa personnalité et augmentent ses joies, on détruit la famille, puisque la famille est construite sur des principes tout opposés, et qu’elle dure, justement parce que ses principes sont tout opposés et que sa valeur morale et sociale dépend immédiatement de la dignité plus ou moins grande de celle qui l’a créée. Le XVIIe siècle imaginait comme héroïne la princesse de Clèves. Mme de Clèves, estimant criminel de n’avoir pas eu de passion pour son mari, refusa toujours d’épouser M. de Nemours, pour qui elle éprouvait une chaste et violente inclination. Mais comme « les raisons qu’elle avait de ne point épouser M. de Nemours lui paraissaient fortes du côté de son devoir, et insurmontables du côté de son repos, » elle se retira du monde, pour ne pas s’exposer « au péril de le voir et de détruire, par sa présence, des sentimens qu’elle devait conserver, » et finit ses jours « dans des occupations plus saintes que celles des couvens. » La princesse de Clèves n’a, parmi nos héroïnes modernes, ni sœur, ni cousine, ni même parente éloignée et pauvre. Si elle avait vécu de notre temps, elle eût rendu M. de Nemours heureux sans tarder, et assurément quelques autres ensuite.

Ce féminisme n’a pas seulement exercé sur la littérature une grande et dangereuse influence : il a déterminé dans les mœurs une manière d’être, — plus qu’une manière de penser, je l’espère, — qu’on ne peut très exactement définir, et qui est cependant très réelle. Si nombreuses que soient les apôtres politiques du féminisme et ses apôtres littéraires, beaucoup de femmes ne prennent aucune part aux revendications de leurs sœurs : elles