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d’une existence appliquée à la recherche de sensations nouvelles et parmi d’autres images, plus ardentes et moins pures. A cet oubli et à cette déchéance une noble raison sert d’excuse : le poète se doit et doit à sa gloire de tout connaître, de tout expérimenter et de ne jamais se rassasier. Et la douce vision qui éclaira l’aube de sa vie aura, avec les autres, son rôle nécessaire et bienfaisant, à la condition de s’incliner, comme les autres aussi, devant le génie égoïste et insouciant. La jeune fille a donné toute son âme. Elle ne saurait la reprendre. Elle vit d’abord d’espoir, et le jour où elle acquiert la certitude que cet espoir est vain, c’est avec l’espérance sa vie même qui s’éteint progressivement. Trop tard, le poète revient : celle qu’il a trahie ne peut plus supporter l’excès de ce bonheur et elle meurt de n’avoir voulu aimer qu’une fois.

À ce livre simple et doux, où, dans les deux cahiers du poète et de Miranda, semble s’exprimer alternativement la même âme, aux heures de lutte angoissée et aux heures d’idéale certitude, succède un roman d’intrigue compliquée d’action romantique et de préoccupations multiples, Malombra. Le site même en est sombre et confus. C’est un château isolé et rébarbatif sur lequel planent des légendes d’horrible vengeance et de séquestration ; un vieux gentilhomme y vit à l’abri des idées modernes comme des contacts mondains ; il y a recueilli une de ses nièces orphelines, d’esprit exalté et morbide, qui se console par la lecture des romans français et par une correspondance avec l’auteur inconnu d’un livre qui traite de la vie future et de la survivance. Ce jeune auteur vient par hasard servir de secrétaire au gentilhomme, écrivain à ses heures. Un autre hasard lui fait découvrir que la jeune fille est sa mystérieuse correspondante et, surpris pour elle par un amour violent et vil, car elle le méprise et l’humilie, il en vient, un jour, à glisser à son oreille le pseudonyme sous lequel elle lui écrivait. Or elle avait choisi comme pseudonyme le nom d’une folle jadis enfermée dans le château et dont elle a retrouvé dans une cachette une lettre terrible annonçant qu’elle reviendra sous une autre forme pour se venger de la race de ceux qui l’opprimèrent. La raison de la jeune fille est égarée par ces coïncidences. Elle s’imagine qu’elle est la victime réincarnée pour la vengeance ; elle voit dans l’amour de Conrad Silla la reviviscence de l’amour pour lequel la malheureuse folle se crut jadis enfermée. Elle fait mourir son oncle de frayeur et de