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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/927

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qui ramenait Emilie dans cette maison qu’elle avait si obstinément fuie alors que sa conscience, son honneur, sa gloire, tout l’y rappelait ; ce n’était pas non plus le défaut d’affections et de dévouemens assurés. Il semble d’autre part que cet asile était le dernier qu’elle eût dû choisir, vaniteuse, craintive du qu’en-dira-t-on et, en somme, peu généreuse, comme nous l’avons vue. Circonstance plus singulière : Emilie ne choisissait pas pour se rattacher à son premier mari un moment bien favorable à sa mémoire. Les cendres de Mirabeau, rejetées du Panthéon, reposaient toujours dans la fosse commune du petit cimetière Saint-Etienne-du-Mont, et son cercueil restait commis à la garde du tenancier d’un hôtel garni, côte à côte avec le cercueil de Marat ; ses principes, son œuvre, étaient en abomination à la plupart ; ce qu’il avait eu d’honnête, de docte, de sérieux, était revendiqué par ses anciens collaborateurs, avides de ressaisir sous une forme magnifiée et immortelle la matière brute qu’ils lui avaient fournie. Et bien mieux, ou bien pis, tandis que l’homme d’Etat, le tribun et le pamphlétaire subissait cette éclipse et ces profanations, la satire de l’homme privé obtenait chaque jour plus de crédit. P. Manuel avait publié les quatre volumes des Lettres originales de Mirabeau écrites du donjon de Vincennes à la touchante et misérable marquise de Monnier. Tout au long de cet épais recueil, Emilie était flétrie, reniée, raillée ; et cette diffamation qui était universellement reçue comme véridique, elle en avait pu faire sa lecture sans prendre en haine Mirabeau et, avec lui, tous les objets qui lui avaient appartenu et qui le rappelaient ! Elle l’avait donc toujours aimé ; elle l’aimait donc toujours davantage.

A n’en pas douter, c’était bien par l’effet d’un amour posthume et d’un vif désir d’expiation qu’Emilie se trouvait ramenée dans cet hôtel de la rue de Seine qu’elle et Mirabeau avaient habité peu de temps, et jamais ensemble. Emilie venait y goûter les seuls plaisirs possibles d’une vie manquée et finissante : plaisirs de s’affliger, d’épouser une ombre, de rendre à son mari mort les devoirs de fidélité, de dévouement, de tendresse, qu’elle avait le repentir de lui avoir refusés vivant. Telle Cornélie, après le trépas de Pompée, jouissait de ses larmes et chérissait son deuil à la place de l’époux disparu ; telle Emilie embrassait la mémoire de son héros et ne la voulait plus quitter ; et elle ressentait comme une offense personnelle l’extrême injustice de