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Le poète y distingue différens mobiles, la piété, mais aussi l’orgueil, la réflexion, mais aussi la colère et l’emportement. Si énergique qu’elle soit, Electre a ses instans de défaillance. Et si rude qu’elle nous apparaisse, elle est capable de tendresse. Quand elle croit avoir, à jamais, perdu Oreste, celui qu’elle pleure en lui ce n’est pas seulement le vengeur disparu, c’est aussi le frère qu’elle s’était habituée à aimer de loin. Quand elle le retrouve et qu’elle tombe dans ses bras, pendant une minute elle se souvient qu’elle est femme et faite pour la douceur des émotions. La psychologie est déjà en possession de son objet et de ses moyens ; comme elle sait démêler chez un même individu la diversité des mobiles, elle sait noter la différence irréductible des natures : elle se plait à opposer Chrysothémis et Electre, pour montrer comment deux caractères dissemblables se comportent en présence d’une même situation. Il y aura toujours, et dans toutes les affaires humaines, un parti de la résistance et un parti de l’agenouillement. Aussi bien, l’opinion du vieux poète, sur le train des choses, n’est pas si éloignée de la nôtre. Chacune de nos fautes se continue par une longue série de conséquences ; chacun de nos actes a d’infinies répercussions ; nos erreurs en provoquent d’autres, qui s’enchaînent d’une façon à la fois inextricable et nécessaire ; nos idées, pour se changer en actions, passent à travers nos sentimens et prennent la teinte de notre caractère... Ce tableau de la vie semblait, aux Athéniens d’il y a vingt-quatre siècles, peint d’après nature ; il n’a pas cessé aujourd’hui d’être ressemblant.

Electre est présentée avec beaucoup de goût à la Comédie-Française, dans un décor d’une tonalité délicieuse. L’interprétation en est en partie satisfaisante. L’élégant M. Albert Lambert est d’une médiocrité correcte dans le rôle d’Oreste. Le consciencieux M. Silvain a été fort applaudi pour la façon volontairement hésitante dont il a débité le récit du gouverneur. L’intrépide Mme Dudlay a eu de beaux momens dans le rôle de Clytemnestre. La nonchalante Mme Lara interprète avec une fâcheuse mollesse celui de Chrysothémis, pourtant si gracieux ! Le grand succès a été pour Mme Silvain, C’est une Electre remarquable et discutable. Elle apporte à la composition du rôle beaucoup de soin ; elle y déploie de la force ; elle en déploie trop ; elle exagère ses effets. En ramenant certaines intonations à un diapason plus juste, en modérant le geste et les attitudes, Mme Silvain donnerait à son jeu le style et le caractère vraiment tragique qui y font parfois défaut. Et j’avoue n’avoir presque rien entendu de la partie lyrique chantonnée sur un vague « trémolo à l’orchestre. «