Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/940

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du voisinage d’un drame qui en est si librement imité. On fera remarquer que l’auteur dramatique a prévu l’objection et y a répondu par avance : sa pièce est une œuvre nouvelle plutôt qu’une adaptation du roman russe. Il n’en est pas moins pénible pour nous de voir défigurer une œuvre qui a le caractère de la chose achevée. M. Edmond Guiraud est certainement un homme de talent et doué pour le théâtre. Il ne devait pas être embarrassé pour inventer une intrigue, où il y aurait eu une femme coupable, un mari odieux et ridicule, un enfant abandonné, et qui se serait terminée par un suicide. Pourquoi a-t-il éprouvé le besoin de donner à ses personnages les noms consacrés d’Anna, de Wronsky et de Karénine ?

Anna Karénine est très honorablement interprété par une troupe d’ensemble. Mlle Mégard réussit surtout dans les passages de pathétique un peu gros. Il faut tirer hors de pair M. Gémier qui a joué avec une véritable maîtrise la grande scène du second acte.


M. Miguel Zamacoïs a mis en vers et découpé en actes un fort joli conte bleu. Dans le château de la Misère, où elle vit aux côtés de son père, vieux gentilhomme ruiné et berné, Solange de Mautpré s’ennuie. Pour la divertir, on introduit auprès d’elle des bouffons. L’un d’eux, le bouffon Jacasse, spirituel comme un bossu, mais bossu pour rire, est, en fait, un jeune gentilhomme immensément riche, épris de Solange et qui veut s’en faire aimer. Tout finit par un mariage. Cette histoire à dormir debout a charmé tous ceux qui l’ont entendue. On a aimé le pittoresque d’un décor dont on ne sait s’il nous transporte davantage dans le temps de la Renaissance ou dans le royaume de la fantaisie. On a salué au passage, avec plaisir, de vieilles connaissances ; on a souligné d’applaudissemens les rodomontades du matamore, et de rires ironiques sa finale déconfiture. On s’est diverti à des pantalonnades variées. Surtout on a goûté infiniment la musique de très agréables vers d’amour. Et à quoi bon, par des critiques trop aisées, gâter le plaisir de M. Zamacoïs et inquiéter celui de ses auditeurs ?

Je voudrais seulement, à ce propos, signaler une erreur qui est en train de passer à l’état de dogme. Tout le monde est d’avis aujourd’hui qu’il nous faut un théâtre en vers. Le principe est excellent. Encore est-il bon de savoir ce qu’on entend par le « théâtre en vers. » Je crains que le succès de Cyrano de Bergerac n’ait troublé bien des têtes. Il est convenu qu’une pièce en vers doit nous faire rire, qu’elle contiendra des épisodes de bouffonnerie et que cette bouffonnerie sera aussi énorme que possible. Cyrano avait un nez dont les dimensions