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C’est sur Dickens qu’est descendue la véritable tradition de la « Joyeuse Angleterre, » et non point sur les pâles médiévalistes qui se sont imaginé qu’ils la ressuscitaient. Les préraphaélites, les gothicistes, les admirateurs du moyen âge, avec leur subtilité et leur mélancolie, avaient l’esprit de notre temps présent : Dickens, avec sa bouffonnerie et son assurance intrépide, avait l’esprit de notre moyen âge. Jusque dans ses attaques contre le moyen âge, il était beaucoup plus médiéval qu’ils ne l’étaient dans leurs apologies. Lui seul avait au cœur les vertus de Chaucer, l’amour des grosses farces, et des longues histoires, et de l’ale brune, et de toutes les routes blanches de l’Angleterre... Il l’a bien montré, par exemple, dans sa grande défense des fêtes de Noël. En combattant pour ces fêtes, il combattait pour l’ancien et vénérable mélange des trois plaisirs de manger, de boire, et de prier. Ce qui ne l’empêchait point d’avoir, lui-même, les idées les plus enfantines au sujet du passé. Il se figurait le moyen âge comme n’ayant consisté qu’en tournois et en chambres de torture ; et il se figurait être, pour son compte, un homme bien pratique du siècle des machines, presque un utilitaire. Mais, avec tout cela, il défendait la fête du moyen âge, qui était en train de disparaître, contre l’utilitarisme, qui était en train d’arriver. Il ne parvenait à voir, dans le moyen âge, que ce que celui-ci avait eu de mauvais ; mais il luttait pour tout ce que le moyen âge avait eu de bon. Et il était d’autant plus en sympathie avec la vigueur et la simplicité anciennes qu’il savait seulement que ces choses étaient bonnes, et ne savait pas qu’elles fussent anciennes. Il se souciait tout juste aussi peu du « médiévalisme » que s’en étaient souciés les gens du moyen âge ; mais il se souciait infiniment, tout à fait comme eux, de la franche jovialité et de la saine bonté, de tristes légendes sur de fidèles amans et d’amusantes histoires sur de gais compagnons. Il aurait été fort ennuyé par Ruskin et Walter Pater, si ces deux, savans hommes s’étaient mis à lui expliquer l’étrangeté des tons de soleil couchant dans l’œuvre de Lippi et de Botticelli. Il ne trouvait aucun plaisir à contempler le moyen âge mourant : mais, de toute son âme, il regardait le moyen âge vivant, ce qui avait pu rester debout des vieilles coutumes et des vieilles croyances ; et c’est tout cela qu’il saluait comme un culte nouveau.


Mais pourquoi M. Chesterton semble-t-il s’être fait une coquetterie de ne jamais nous dire expressément en quoi a surtout consisté la communion de Dickens avec le moyen âge, et avec l’âme populaire anglaise, et aussi avec l’âme populaire de tous les pays ? Il reconnaît, cependant, que ce « radical » a eu, en matière politique, des vues absolument différentes de celles de tous les autres « radicaux » de son temps ; que, « tout dogmatique qu’il fût, il a toujours refusé de se lier à aucune doctrine ni à aucun parti ; » que son « ardeur démocratique » ne l’a pas empêché de mépriser et de railler notre conception moderne de la démocratie ; et que, « si nous le comparons aux autres hommes qui ont demandé les mêmes choses que lui, nous sentons chez lui une