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n’était pas moins paradoxale et contre nature. Rien n’est plus vrai ; mais le Centre catholique et les socialistes s’étaient unis dans l’opposition. S’ils avaient remporté la victoire électorale, ils auraient été bien embarrassés, eux aussi, pour en tirer parti. La coalition victorieuse n’éprouvera pas un moindre embarras, parce que ses divisions ne sont pas moindres, et qu’il y a, en somme, plus de distance entre un agrarien et un radical, qu’entre un radical et un socialiste ; de même qu’il y en a moins entre un catholique du Centre et un conservateur, qu’entre ce conservateur et un libéral. Rien de plus artificiel que la classification des partis tels que les élections l’ont faite ! On ne peut se l’expliquer que par la manière dont la lutte a été engagée. Étaient-ce deux programmes, deux conceptions politiques et gouvernementales qui avaient été en présence, au Reichstag, et qui y étaient entrées en conflit ? Non. Le chancelier avait eu l’habileté, — et il est possible que ce n’ait été que l’habileté d’un jour, de poser une question qui supprime provisoirement toutes les autres, parce qu’elle les domine et les absorbe, la question de patriotisme. De quoi avait-il accusé les catholiques et les socialistes ? D’être les ennemis de l’Empire. Nous avons dit combien cette accusation était invraisemblable contre le Centre catholique. Mais contre les socialistes, elle avait plus de prise. S’ils ne sont pas les ennemis de l’Empire, les socialistes allemands sont opposés à toute aggravation des charges militaires, et ils ne manquent jamais de voter contre les crédits que le gouvernement demande à tout propos pour l’armée ou pour la marine. Cela rendait relativement facile de provoquer une confusion dans les esprits entre leurs sentimens et leurs votes, et le gouvernement n’a pas manqué de le faire. Telle a été sans doute la cause principale de l’écrasement des socialistes ; mais ce n’a pas été la seule. Le socialisme a été victime en Allemagne, comme il le sera un jour partout ailleurs, de l’énorme disproportion qu’il y a entre ses promesses et leur réalisation. Quand on a cessé de croire au paradis dans l’autre monde, on se lasse de l’attendre dans celui-ci, et on finit par se dégoûter de ceux qui le promettent toujours sans le donner jamais.

Quoi qu’il en soit, la bataille électorale ayant été livrée sur le terrain nationaliste, la victoire a été aussi, dans une large mesure, une victoire nationaliste. Bon gré, mal gré, les ardeurs nationalistes ont été excitées violemment. Elles seules ont pu fondre, comme dans un creuset à très haute température, les élémens disparates de la coalition gouvernementale, et en former un bloc de quelque consistance :