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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/11

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jusqu’alors plus curieuse de la forme que du fond des choses a commencé de s’appliquer à l’observation de la réalité. Nous l’avons vu en étudiant, dans l’œuvre de Ronsard, ses Discours sur les Misères de ce Temps. Ses yeux se sont comme ouverts ce jour-là. Il a pressenti qu’il pouvait y avoir même de la poésie dans le spectacle ou la représentation des choses contemporaines, et, par conséquent, une autre forme de la poésie que le lyrisme, un autre objet pour elle que de servir de matière à la virtuosité du poète. Et, nous l’avons également vu, il n’a point abandonné ni trahi pour cela l’étude de l’antiquité. Mais ; de ce jour, lui-même et ses contemporains, ce ne sont plus uniquement des leçons de style qu’ils lui ont demandées, de rhétorique ou de grammaire, mais des leçons d’histoire, de politique, de morale. Car la littérature et l’art ne sont que la fleur d’une civilisation : c’est la politique et la guerre, c’est la législation, ce sont les mœurs, ce sont les changemens des conditions des hommes qui en font la substance. Thucydide et Platon, Démosthène et Cicéron, Plutarque et Sénèque, ne sont pas seulement de rares ou d’industrieux ouvriers de leur langue. Ils ont voulu faire œuvre sociale. Leur ambition va bien au-delà de la gloire « d’avoir bien écrit ; » si vraiment nous les « imitons, » c’est jusque-là qu’à notre tour nous porterons la nôtre. Reprenons-en donc encore une fois l’étude. Par leur expérience de la réalité, contrôlons celle que nous pouvons en avoir acquise de notre côté. Que nous enseignent-ils qui, vrai des Grecs et des Romains, le soit encore de nous Français, contemporains de Charles IX et d’Henri III ?

C’est cette manière de comprendre et de traiter l’antiquité qui va maintenant s’établir à peu près universellement, et que nous allons étudier successivement dans un humaniste, qui n’est guère que cela, tel qu’Henri Estienne [1528-1598], dans un traducteur, qui fut en même temps un personnage de cour et presque un homme politique, Jacques Amyot [1513-1593], et dans un magistrat qui fut en même temps un. « jurisconsulte » et un « économiste, » Jean Bodin [1530-1596].


I. — HENRI ESTIENNE

A la vérité, l’intention n’apparaît pas très clairement chez celui-ci, et s’il n’était l’auteur de son Apologie pour Hérodote, etc.,