D’Hérodote en latin, Henri Estienne avait prétendu défendre Hérodote contre le reproche de mensonge que la critique devait longtemps lui adresser ; et pour l’en défendre, il s’était fait fort de montrer que, si les aventures que l’historien grec nous conte peuvent quelquefois paraître invraisemblables, elles ne sont qu’extraordinaires, et qu’en réalité, tout autour de nous, tous les jours, nous voyons, sans y prendre garde, advenir de semblables merveilles. De là le titre de l’ouvrage : Apologie pour Hérodote, ou Traité de la Conformité des Merveilles anciennes avec les modernes. Ce titre, si le livre en tenait les promesses, annoncerait déjà le dessein de Montaigne : chercher et retrouver l’identité de la nature humaine sous l’infinie diversité des « coutumes » ou des « costumes » qui la déguisent et qui la masquent. Les contemporains de Sésostris ou de Cambyse ne sont pas aussi différens qu’on le croirait de ceux de Charles IX. Mais, par malheur, le livre ne tient pas les promesses de son titre, et on est vraiment tenté de se demander, en le lisant, s’il a autre chose pour lui que la violence des haines qu’il respire, la verve injurieuse, et peut-être une âpreté de style qui ne se distingue pas très nettement de la grossièreté.
C’est le livre d’un protestant, qui d’ailleurs ne devait pas plus s’accorder avec Genève que Marot ou Rabelais, et on veut dire par là que c’est le livre d’un homme, profondément convaincu de la perversité foncière de la nature humaine. C’est un point par lequel il diffère de Rabelais, et c’est surtout ce qui explique le manque de belle humeur et de gaieté qui caractérise sa satire. La satire d’Henri Estienne, comme celle de Calvin, dans son Traité des Reliques, par exemple, ou dans son pamphlet contre les Libertins, est triste. On sait d’ailleurs que dans cette Apologie pour Hérodote, précisément, il n’a pas épargné Rabelais, et certainement, ce qui l’indigne contre l’auteur du Pantagruel, c’est la manière dont celui-ci va « brocardant, toute sorte de religions, » mais c’est bien plus encore cette énorme gaieté qui jaillit, comme d’un tonneau débondé, de la verve du grand conteur. Il a donc à peine annoncé son sujet qu’il le rétrécit. Sous un fatras d’érudition, il n’est question bientôt que de morale. Toute son Apologie ne consiste qu’à prouver que les modernes sont pour le moins aussi vicieux que les anciens. C’est la principale « conformité » qu’il s’efforce de mettre en lumière.