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que nous promet notre religion. (Je n’en plaisanterais pas.) Je t’écrirai de là des lettres à te donner regret et envie.

Ces lettres destinées à exciter de tels sentimens ne se firent pas attendre.


A M. H de L

Doux ami, oui, Valparaiso est bien un paradis, — terrestre, — d’une enchanteresse beauté, des fleurs éclatantes aux parfums étranges, violens. Un air tempéré par la brise de mer, une douceur de climat incomparable… le soir et la nuit (dans la journée, il fait très chaud). On ne se rencontre, on ne se visite qu’à ces heures-là. Beaucoup de bals, beaucoup de jeunesse, les jeunes filles, des enfans de quinze ans, en paraissent vingt-cinq ; bien élevées, cependant on les désigne ainsi : la Laura, la Flora, la Rosa. On ne parle pas ainsi de nos sœurs, hein ? Ce ne sont pas des intellectuelles, leur conversation se borne à des phrases toutes faites, puériles ou insignifiantes. Elles se savent jolies, cela leur suffit. Ah ! nos Parisiennes, moins belles peut-être, mais si gracieuses, cultivées et fines ! Je ne sais pas le temps que nous passerons ici, que m’importe ? partout j’ai mes occupations de bord, mes souvenirs, mes lettres de France, l’espoir très vivace d’y vivre encore. Adieu, ami, à quoi te sert de posséder une écritoire ?…


Il s’en alla bientôt, naviguant sur le Pacifique dont il traversait les immenses solitudes. « Rien que le ciel et l’eau. » Il nous écrivait des lettres fréquentes, au hasard des paquebots, le plus grand nombre sans date. « Je vis dans une sorte d’inquiétude fébrile, — il me semble que le destin me harcèle, m’emporte à perte de vue, — dans les espaces d’ombres où se fondent les nuages. Ah ! combien juste cette pensée de Pascal : « Nous avons en nous notre soleil et nos brouillards. » Nous appareillons pour Taïti. »

Avant que les brouillards s’étendissent sur lui, Robert devait encore jouir de clairs rayons de soleil. Lorsque sonnaient les heures de mélancolie, il se réservait, se dérobait à toute curiosité, même affectueuse ; « les quarts de nuit sont pour moi un moment de délices. » Ses camarades ne voyaient que la surface, barrière infranchissable : il tient, disaient-ils, à ne pas s’extérioriser ; l’un d’eux, d’esprit gaulois, écrivait ainsi :