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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/160

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M. Pomaré, — de son nom Ariifaité, — était en grande tenue : pantalon flottant en étoffe de soie changeante, verte et jaune, veste ronde en coutil gris, épaulettes, képi, sabre de garde national. Il était beau, trop beau, et en jouissait au superlatif. On riait sous cape.

Le lendemain, hier, la Reine nous reçut à son tour. Réception suivie d’une revue, revue suivie d’un gala que nous offrit Sa Majesté, entourée du prince époux et de ses fils[1], deux grands garçons pas trop mal vraiment.

M. Pomaré surtout fixa notre attention. Même tenue décorative que la veille. Il était si fier, si heureux d’être admiré, qu’un large rire épanouissait sa bonne face, et sa tête énorme, vulgaire, ronde et réjouie complète l’ensemble bouffon de sa personne.

Mais la Reine ! Excepté deux yeux vifs, elle n’a rien du sexe féminin.

On ne peut dire qu’elle soit taillée à coups de hache, ce qui donnerait l’idée d’un modelé quelconque. Non. C’est une masse énorme couverte d’un vaste fourreau d’étoffe de soie noire serré au cou, cachant ses pieds : en a-t-elle des pieds ? Chi lo sa.

Quant à ses mains, elles sont larges, épaisses, et elle s’en sert avec plus de force que de grâce ou d’élégance. Pour dîner, nous étions tous assis sur le sol, en rond, — elle au milieu, — et on la vit avec stupéfaction dépecer un petit cochon rôti sans se servir d’aucun instrument. Ses mains avaient tout fait, et c’est au bout de ses doigts ruisselans qu’elle nous en distribua les membres. Nous mourions de faim.

Les dames de la maison royale assistaient à la fête, parfumées, gantées, coiffées de chapeaux de paille d’Italie, jolis spécimens du genre parisien offerts par l’Impératrice à la Reine pour les femmes les plus distinguées de sa cour ; mais on n’avait pas indiqué la manière de s’en servir et ce que vous portez sur la nuque, — le bavolet, je crois, — batifolait sur des fronts basanés.

Elles se croyaient irrésistibles. Que de sourires et de mines, d’oripeaux et de bijoux ! Que de poses, de regards provocans ! A leurs complimens il fallait répondre par des complimens, — sans cela on nous aurait assimilés à des sauvages.

  1. Lorsqu’elle parle de ces derniers, elle dit très drôlement : « ma dynastie. » Quant au prince-époux, son admiration pour lui est sans bornes : « J’ai épousé le plus bel homme de mon royaume. »