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répond à Alden : « Pourquoi ne parlez-vous pas pour vous-même, John ? » Banale jusqu’ici, l’histoire devient caractéristique par le supplice de séparation que ces deux jeunes gens sont d’accord pour s’imposer. Ils obéissent à un scrupule de loyauté envers Standish ; ils s’éloignent l’un de l’autre pendant des années ; ils ne veulent connaître d’autre douceur que les blessures de leur sacrifice, jusqu’à ce que la mort de l’officier vienne libérer leurs consciences. Il semble que Longfellow ait, par la suite, éprouvé quelque remords d’avoir ainsi rapproché deux amoureux. Il fit amende honorable dans Evangeline : c’est après les années de deuil qui sont la trame de ce poème, que son héroïne vieillie, en cheveux gris, couverte du voile des sœurs de charité, reçoit, à la fin, dans ses bras, son fiancé Gabriel, seulement pour lui fermer les yeux.

Après Longfellow, les auteurs les plus distingués de cette pléiade bostonienne furent Olivier Wendell Holmes et James Russell Lowell. Le père et le grand-père de Holmes étaient des prédicateurs. « Et moi aussi, a-t-il dit lui-même, j’aurais pu être pasteur comme les autres, si un certain pasteur de ma connaissance (son père) n’avait, à mes côtés, vu et décrit le monde avec les yeux et la langue d’un entrepreneur de pompes funèbres. » Holmes a dit ailleurs par quels tourmens de conscience fut travaillée sa jeunesse : « La doctrine de la chute de l’homme, avec ses conséquences, n’était pas seulement gravée comme un article de charte dans le cerveau de tout enfant de la Nouvelle-Angleterre, mais elle débordait sur sa conception générale de l’univers. Les premières années d’éveil de la raison s’écoulaient dans une angoisse que dominait l’épouvante de la damnation éternelle. »

Il n’existait à Boston aucun mouvement artistique. Ceux-là seuls tenaient une plume à qui leur profession ménageait quelque loisir. Lowell était avocat ; Holmes prit son doctorat après qu’il eut achevé ses études à Paris. Elevé dans la rigidité que l’on sait, il se donna avec une heureuse surprise aux façons de vivre et de penser des Parisiens. Au travers du parallèle que Holmes établit entre sa ville natale et la capitale de la France, on voit combien la société de Boston était fruste au début du XIXe siècle. Il dit dans une lettre datée de 1833 : « La vérité est que je vis à Paris comme si j’y étais né. Comment ai-je jamais pu dîner à deux heures ? Comment ai-je jamais pu porter à ma bouche autre chose qu’une fourchette en argent ?