On croyait perdu le manuscrit des Martyrs, comme le sont sans doute ceux d’Atala et de René, du Génie du Christianisme et des Natchez. Et cette perte était particulièrement regrettable. On sait quel artiste, et même quel virtuose de style était Chateaubriand. Aucun écrivain peut-être, — non pas même Flaubert, — n’a mieux connu et plus complètement éprouvé ce qu’on a si joliment appelé « le souci de la perfection qui stérilise ; » aucun peut-être n’a plus scrupuleusement travaillé, remanié, corrigé ses propres écrits. « Dans ma jeunesse, nous dit-il quelque part, j’ai souvent écrit douze et quinze heures sans quitter la table où j’étais assis, raturant et recommençant dix fois la même page. L’âge ne m’a rien fait perdre de cette faculté d’application. » « Je travaille douze et quinze heures par jour, » lisons-nous en effet dans une lettre inédite datée du 20 novembre 1824. Or, il se trouve que les Martyrs sont peut-être, de toutes les œuvres de Chateaubriand, celle qu’il a le plus consciencieusement retouchée avant de la livrer à l’impression. « Le travail était de conscience, nous déclare-t-il dans les Mémoires d’Outre-Tombe ; j’avais consulté des critiques de goût et de savoir : MM. de Fontanes, Bertin, Boissonnade, Malte-Brun, et je m’étais soumis à leurs raisons. Cent et cent fois, j’avais fait, défait, et refait la même page. De tous mes écrits, c’est celui où la langue est le plus correcte. » De semblables déclarations étaient faites pour piquer notre curiosité : on eût donné beaucoup pour retrouver tous ces brouillons successifs, pour pouvoir étudier de près ces retouches et ces « repentirs, » bref, pour surprendre en quelque sorte
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ESSAIS ET NOTICES
LES RELIQUES DU MANUSCRIT DES « MARTYRS »