demandera-t-on peut-être, et pourquoi ? Parce que nous venons de voir, dans le Plutarque d’Amyot, la littérature prendre la forme du parallèle ? Non ; mais parce que, si différens qu’ils soient à tous autres égards, ces ouvrages sont animés, inspirés de la même ardeur patriotique ; parce que le patriotisme s’y excite lui-même, en quelque manière, de la même animosité contre l’Italie, l’influence italienne, l’imitation des mœurs ou du langage italiens ; enfin parce qu’ils contribuent diversement, mais inégalement, à nous éclairer sur l’état des esprits, en matière de morale ou de politique. La réputation, déjà classique, de Machiavel et de son livre du Prince est-elle méritée ? Je ne sais : mais si l’on constate qu’elle est consacrée, il faut constater également qu’en France la résistance et la révolte sont universelles et déclarées contre elle. Le problème, et on en connaît l’importance, est posé de savoir quels sont les « rapports de la morale et de la politique ? » Existe-t-il des cas, non seulement où l’on puisse mais où l’on doive sacrifier la morale à la politique ? Et le prince a-t-il jamais le droit de commettre ou de commander une action « moralement mauvaise, » connue de lui et jugée comme telle, en vue d’un intérêt supérieur qui serait « la raison d’Etat ? » Ou bien encore, à tous les deux, l’Etat et le prince, leur est-il avantageux, et de ce qu’il est avantageux, leur est-il permis d’ignorer la morale, et comme les artistes l’ont fait ou voulu faire pour l’art, leur est-il permis de séparer, sans possibilité de réconciliation, la politique et la morale ? Nous ne parlons pas après cela de la théorie du « beau crime, » qui n’est qu’un inhumain et odieux paradoxe. Mais aux environs de 1575, toutes ces questions commencent à préoccuper ardemment les esprits, et les Six livres de la République en sont un témoignage capital. Son intention générale, à lui aussi, Jean Bodin, est de protester contre l’influence de Machiavel, qu’il estime néfaste. C’est dans le même temps l’intention d’Henri Estienne ; ce sera l’intention de celui qu’on appelle « le brave Lanoue » dans ses Discours militaires : c’est aussi, nous voudrions qu’on l’eût bien vu, l’une des raisons de l’accueil qu’on fait à Plutarque. Il est moral, sa politique est de la morale. Ecrites ou non écrites, il pense qu’il y a des « lois » qu’on ne peut pas violer. Et, quand on rapproche tous ces traits les uns des autres, on voit manifestement se prononcer une tendance qui n’est encore qu’une tendance, dont on pourrait dire, en la rapportant à son origine
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