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la souffrance chez ces gens pour qui la dissimulation est une nécessité cérémonieuse. Les Malgaches affectent plus d’indifférence qu’ils n’en éprouvent, et c’est surtout l’anarchie politique où ils vivent qui a déterminé l’anarchie de leurs mœurs : on sent qu’elle n’est point propre à la race, quand on observe leur silence, et surtout qu’on écoute leur poésie, car chez eux le naturel ne se trahit que dans l’artificiel de la littérature. Ils commencent à rechigner, de plus en plus, à en vouloir à l’étranger qui les trompe ; ils en voudront ensuite à leurs congénères.


IV. — LE SENTIMENT DU BONHEUR ; LES FÊTES ET LA DANS

L’humeur du Malgache est instable. Il flotte entre l’irritation et l’indifférence comme entre la gourmandise et la sobriété. Le Malgache aime à se croire gourmand ; il use de proverbes gloutons : « Le ventre est un tambour : c’est celui qui est bien tendu qui résonne. — Ventre plein n’a pas de regrets. — Ne ressemblez pas aux ciseaux qui ont une bouche, mais pas de ventre à remplir. » Il exagère à plaisir dans des contes tels que celui de Fara la Molle et de Koto le Ventru les délices de la digestion dans la vie des êtres, mais il est d’une très grande sobriété : une blanche écuelle de riz, quelques tronçons de manioc bouilli, des cannes à sucre aqueuses, la pulpe de quelques fruits suffisent à le nourrir. Or, une fois piqué, le riz pousse sans qu’on ait à s’en soucier ; on n’a qu’à fouiller un peu le sol pour récolter, gonflées de sève, les racines qu’a multipliées une seule tige de manioc ; autour de la case, des jardins de bananiers laissent pendre à hauteur d’homme, d’entre les palmes prolifiques, des régimes lourds où les fruits étages jaunissent avec les jours. La flamme du foyer grille la chair fine des marakelys des lacs ; sa fumée boucane les anguilles pochées dans les rivières. L’arbre de la forêt, qui n’a pas de fruits comestibles, porte au creux de ses branches mortes des ruches de miel aromatique. Puisque peu d’efforts assurent la subsistance, quelle devient l’utilité d’un travail continu ? Le Malgache n’a pas la répulsion pour ainsi dire physique de l’effort, car il saura accomplir au besoin et sans en avoir conscience des prodiges de labeur ; encore faut-il que ce soit d’une immédiate nécessité. Il comprend fort bien qu’on doive travailler à certains momens plus qu’à d’autres parce que la nature agit ainsi, mais il n’accepte pas la servitude