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au point que l’homme croit respirer un air plus fin, caressé de brises fuyantes : « C’est chose charmante que ce lieu ! Que dire de cet îlot (Anosy) rond et bien aplani et des arbres ombrageant le public, tout en appelant sur lui un vent d’une douceur et d’une fraîcheur incomparable ! » En rendant de la sorte la vie terrestre d’une légèreté idéale, la musique doue les âmes d’une nervosité déliée. Est-ce inspiration personnelle, est-ce adaptation au goût de prédication des missionnaires protestans qui ont joué un grand rôle d’éducation sociale, le Merina, très préoccupé de morale en même temps que voluptueux amateur de mélodie, fait servir celle-ci à entretenir et à développer celle-là. Les invitations aux concerts populaires qu’on placarde en été à Tananarive sont de vraies litanies de proverbes sages, la suite des thèmes moraux que l’auditeur doit méditer sous les thèmes musicaux dont il entendra les développemens, prône qui prépare l’auditoire à tirer un profit spirituel des plaisirs du concert :


L’arbre s’élève parce qu’il est poussé par sa racine. — La paix est parfaite parce qu’on a de bons conseillers. — Les conseillers sont habiles parce qu’ils sont choisis parmi les gens du monde. — Ces derniers sont les pères et mères. — Soyez donc sages. — Aimez ceux qui vous aiment. — Évitez l’orgueil qui amène au danger et suivez ce qui est vrai, chers amis. — C’est le plus beau jour : on se rappellera les chants malgaches d’autrefois qu’ont chantés les vieux joueurs et qui les ont rendus célèbres dans le temps. — Réfléchissez donc un peu. Le temps enrouille l’amitié : seulement pourvu qu’on s’aime au début, peu importe si on s’aimera dans l’avenir ; mais pensez au passé ainsi qu’à l’avenir. — Gardez bien ce que vous possédez car il est difficile de chercher autre chose. — Finissez donc ce qui n’est pas fini. — Que la main de ceux qui ont l’habitude de caresser son ami par hypocrisie se retire ! — Il faut supporter la discussion. — Réjouissons-nous donc car c’est le jour de plaisir et de paix.


Du moment que toute cette sagesse eurythmique a été chantée, on est dispensé de l’appliquer dans les mœurs. Et cela encore caractérise l’esprit et surtout la vieillesse de civilisation de la race, qu’elle ait relégué et harmonieusement emprisonné la morale dans la musique, avec douceur et dilettantisme, que noblesse et peuple bercent leur amoralité d’une musique toute de stances et d’apophtegmes, sentencieuse jusqu’en sa mélopée grave et perlée de litanie, dans un pétrake philosophique et voluptueux fait de détachement supérieur et de vile paresse.


MARIUS-ARY LEBLOND.