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mais on sait que le seul mot de charité évêque les plus mauvais jours de l’ancien régime. Elle est présidente de je ne sais quelle Œuvre de bienfaisance ; et la toile se lève sûr une séance de son comité. — Ce n’est là, sans doute, qu’une curiosité de mise en scène et qu’un détail accessoire ; mais dans cette pièce, ce sont les détails et les accessoires qui sont le plus amusans et ce sont les personnages épisodiques qui sont le mieux dessinés. Ainsi le couple Loupiau : Nini, l’orpheline que l’Œuvre s’est occupée d’établir, et Loupiau, le louche individu dont on a fait un mari complaisant. Devant ces deux types, indiqués d’un trait rapide, on n’hésite pas : ils sont pris sur le vif. — Cette Mme Le Mesnil a une fille, Germaine, à qui sa chance a fait rencontrer un mari excellent, exemplaire, et comme on n’en voit plus guère aujourd’hui : Lucien Drouart. Celui-ci adore sa femme et son enfant, ne vit que pour eux, travaille sans relâche et leur amasse une fortune déjà rondelette. Un mari tel que celui-là, il faudrait le faire encadrer : Germaine rêve de le quitter. Pourquoi ? Parce qu’il laisse inquiètes et inassouvies certaines de ses aspirations, et que ces aspirations seront, lui semble-t-il, mieux satisfaites par le séduisant Bernier, un médecin très apprécié des dames, sorte de don Juan carabin.

Ce Bernier est marié de son côté. Bien entendu ! Qu’à cela ne tienne, et le divorce n’a-t-il pas été inventé justement pour démarier les gens qui souhaitent de se remarier suivant leurs goûts ? Germaine attend son bonheur d’un double divorce ; elle fait part à son mari de cette combinaison si simple, tranquillement, sans colère, sans émotion, sans rancune, comme elle lui annoncerait qu’elle a changé la femme de chambre ou le tapissier. La scène où Lucien Drouart riposte à cette étonnante déclaration, par un plaidoyer qui est celui de la droiture et du bon sens, est de beaucoup la meilleure de tout l’ouvrage. Il n’admet pas, ce brave garçon, que, pour une fantaisie, on ait le droit de bouleverser plusieurs existences. Il est sans reproche ; pourquoi accepterait-il que sa vie fût brisée et sa tendresse anéantie ? Dans un contrat où l’une des deux parties a tenu ses engagemens, l’autre n’est pas libre. D’ailleurs, parmi les devoirs d’un mari, il y a celui de protection : Lucien défendra sa femme contre elle-même ; il la tiendra en garde contre un entraînement dont elle deviendrait la victime ; il l’empochera de mettre entre eux l’irréparable. Bref, il dit tout ce que comporte la situation : il le dit très bien, avec noblesse, avec chaleur, avec simplicité. La salle le soutient de ses applaudissemens. Et ces applaudissemens veulent dire : « Nous avons du divorce tant et plus ; un mari qui refuse de divorcer a les