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les prélats, les grandes dames de Londres se disputèrent le plaisir de l’avoir à leur table, où, après avoir avalé sa tranche de bœuf cru, il ne se fatiguait point de répondre, dans un latin des plus élégans, à toutes les questions qui lui étaient posées sur l’origine et les mœurs de son île natale : affirmant, par exemple, que la durée moyenne de la vie, à Formose, était de cent vingt ans, et que son grand-père avait conservé une jeunesse merveilleuse jusqu’au-delà de cet âge, grâce à son habitude de sucer, chaque matin, « le sang tout chaud d’une vipère. » Dans les premiers mois de 1704, l’évêque de Londres eut la pensée d’envoyer son jeune protégé à l’université d’Oxford, pour qu’il y formât des missionnaires qui, ensuite, iraient convertir la population de Formose à l’anglicanisme : en quelques jours, une souscription produisit la somme nécessaire à la réalisation de ce beau projet. Mais toute cette popularité de Georges Psalmanazar n’était rien encore en comparaison de l’enthousiasme passionné qu’il inspira au public anglais lorsque, durant cette même année 1704, il fit paraître, avec une nombreuse série d’illustrations gravées sur bois d’après ses dessins, une Description historique et géographique de l’île de Formose, présentement sujette de l’empereur du Japon.

L’objet principal de cet ouvrage était de réfuter les erreurs d’un missionnaire hollandais, Candidius, qui, peu de temps auparavant, avait prétendu renseigner l’Europe sur une île où il se vantait d’avoir passé de longues années. Psalmanazar soutenait, le plus logiquement du monde, qu’un indigène de Formose avait plus d’autorité, pour parler de ce pays, qu’un missionnaire hollandais ; et, fort de cet argument décisif, il s’employait à contredire, page par page, toutes les assertions de Candidius. Celui-ci avait dit que l’île n’avait point de gouvernement établi, que les lois y étaient d’une douceur confinant à la faiblesse, que la mendicité y était plus pratiquée que nulle autre part ; sur tous ces points, la réalité, — d’après l’écrivain « formosan, » — était exactement à l’opposé de ses dires. Candidius avait donné à entendre que l’île était pauvre : en fait, elle était toute remplie de mines d’argent et d’or. « Aussi bien dans les villages que dans les villes, temples et maisons étaient recouverts d’or. » Le palais du vice-roi, occupant un espace de « trois milles anglaises, » n’était bâti, à peu près entièrement, que de métaux précieux.

Rien de plus original, depuis l’antique prise de Troie par les Grecs, que la façon dont l’empereur du Japon avait conquis Formose. Sous prétexte d’offrir des sacrifices à la divinité de l’île, il y avait envoyé une immense armée. « Trente ou quarante soldats avaient été cachés