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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/466

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Psalmanazar, pour suggérer une étrange affinité entre la race formosane et la race grecque.

Que si, du reste, quelques lecteurs étaient tentés de trouver un peu incroyables certains détails de cette description, ils se sentaient bien vite rassurés par l’imperturbable gravité du ton de Psalmanazar, comme aussi par le zèle du sentiment « anti-papiste » dont celui-ci avait animé toutes les pages de son livre. Mais surtout la bonne foi de l’auteur, aux yeux du public anglais, s’attestait par l’éloquente énergie de sa haine contre les Jésuites. Toute la fin du livre, en particulier, était consacrée à dépeindre les crimes commis par les Jésuites dans l’Empire du Japon. Par des exemples saisissans, et qui mériteraient d’être cités en parallèle avec la mémorable histoire de la conquête de Formose, ouïe tableau pathétique du sacrifice annuel des 18 000 enfans, Psalmanazar démontrait « l’énorme préjudice causé par les Jésuites à la foi chrétienne, et quel reproche et quel déshonneur ces hommes avaient infligés au nom chrétien, en imposant au peuple leurs erreurs papistes. » Comment supposer qu’un écrivain qui, sur ce sujet que l’on connaissait, s’exprimait avec une vérité aussi évidente, comment supposer qu’il fût capable de mentir, ou simplement d’exagérer, dans ce qu’il affirmait sur l’aspect et la vie d’un pays que l’on ignorait, et qu’il était, lui seul, en état de connaître ?

Le fait est que le livre et son auteur eurent, tout ? de suite, un succès extraordinaire, et qui s’accrut encore lorsqu’un Jésuite, le P. Fontenay, sous prétexte qu’il avait vécu plus de quinze ans à Formose, prit la liberté de contredire, à son tour, les affirmations de Psalmanazar. Ce « papiste » effronté n’allait-il pas jusqu’à prétendre que Formose appartenait à la Chine[1], et, donc, ne pouvait pas avoir été conquise par les Japonais de la façon ingénieuse et piquante qu’on a vue ? Ne contestait-il point la présence, à Formose, non seulement de mines d’or et d’argent, mais même d’éléphans, de chameaux, de chevaux marins et de crocodiles ? Mais Psalmanazar n’était pas homme à s’embarrasser de telles objections. Dans la préface de la seconde édition de son livre, — qui parut peu de mois après la première, et pour être épuisée non moins rapidement, — il releva un chiffre de « vingt-cinq objections d’importance capitale » que lui avaient adressées divers contradicteurs ; et à chacune de ces objections, l’une après l’autre, il

  1. On sait assez que tous les hommes d’État et tous les géographes du temps se trouvaient, sur ce point, d’accord avec le P. Fontenay, contre Psalmanazar. Ce n’est qu’un siècle et demi plus tard que Formose a été cédée au Japon par la Chine.