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les catholiques grossdeutsch accusaient la Réforme d’avoir détruit la pacifique harmonie des peuples allemands. L’Allemagne sans elle eût continué d’être à la tête de la chrétienté, et Luther, empêchant l’Allemagne d’être une, l’avait empêchée d’être grande… Et le parti de Gotha de répondre que les foudroyans succès de Luther avaient au contraire unifié l’Allemagne, et que c’étaient les Habsbourgs qui l’avaient désunie, en ramenant dans leurs fourgons la contre-Réforme catholique.

Mais sans remonter si haut et si loin, et prenant pour point de départ l’état présent de son pays, un jeune hobereau de Poméranie concluait brutalement, dès 1849, qu’entre l’Autriche et la Prusse il faudrait bien un jour qu’un fracas d’armes éclatât, et que cela importait à la dignité et à la grandeur prussiennes. On lui parlait de Saint-Empire, et d’un empereur qui était une moitié de pontife, et d’une hégémonie mystique de la Germanie sur les âmes, et d’une « Grande Allemagne » dépositaire de tout un auguste passé ; Bismarck répondait en parlant de militarisme et non point de sacerdoce, en revendiquant pour la Prusse un rôle de grande puissance, et pour l’Allemagne, — une Allemagne encore mal définie, — le droit de signifier enfin au reste de l’Europe ses vues et ses volontés politiques et de les faire respecter. Philosophiquement parlant, à descendre au fond des esprits, c’était l’idée de chrétienté et l’idée de nationalité, tant de fois aux prises depuis des siècles, qui de nouveau se défiaient et s’affrontaient.


III

La Prusse à cette époque, — un prochain article le montrera, — ne marchandait à ses sujets catholiques ni les sourires flatteurs ni même les vraies libertés. Dans tout le reste de l’Allemagne, l’Église indiquait aux divers souverains Sa Majesté le roi de Prusse, comme un exemple à suivre. Personnellement, Frédéric-Guillaume IV aimait et voulait la tolérance, et d’ailleurs, ne fût-ce que pour séduire les catholiques rhénans et pour achever ainsi l’unification morale du royaume de Prusse, il devait traiter l’Église avec générosité. Mais en dehors de ses frontières, en tant que membre du corps germanique, la Prusse, dans les années qui suivirent 1850, parlait et agissait comme si le Dieu de Luther lui eût donné mission de surveiller le catholicisme