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XVIe siècle. » Le nouveau périodique : Historische Zeitschrift, semblait encourager ce fâcheux pronostic. Dans son programme, Sybel arborait la prétention de « combattre l’ultramontanisme, qui soumet le développement national et intellectuel à l’autorité d’une Église extérieure. » Les articles, les comptes rendus bibliographiques, appliquaient le programme : ils étaient nettement anticatholiques, nettement anti-autrichiens, sans qu’on pût bien discerner si l’anticatholicisme était la conséquence d’un parti pris contre l’Autriche, ou si le parti pris contre l’Autriche résultait de l’anticatholicisme. Au fond, les deux haines étaient connexes et parallèles ; elles ne s’engendraient pas l’une l’autre, elles formaient un bloc.

Ranke, le maître de Sybel, avait jadis écrit que « la Prusse était l’Etat dans lequel la pensée protestante avait déployé la plus grande énergie politique ; » et comme autour de lui certains soutenaient que l’histoire de la Prusse moderne était la suite de l’histoire de la Réforme, il avait encouragé ces faiseurs de synthèse, en attribuant lui-même aux campagnes de Frédéric II je ne sais quel caractère confessionnel et en faisant de ce philosophe couronné une sorte de chevalier, prédestiné par le Dieu de Luther à l’humiliation de la catholique Autriche. Mais Ranke gardait un souci « d’objectivité » qui le préservait contre l’esprit de système. Un système, au contraire, c’est ce que cherchaient et c’est ce que voulaient, en matière d’histoire, Henri de Sybel et les rédacteurs de l’Historische Zeitschrift. Ils considéraient que la guerre de Sept Ans et le règne de Frédéric II avaient inauguré la vraie grandeur de l’Allemagne. Frédéric II n’avait pas voulu la guerre, il avait été provoqué : c’était là l’un des dogmes de l’école historique nouvelle. Provoqué, il avait remporté des victoires, qui, par la force des choses, marquaient une revanche de la Réforme sur la contre-Réforme et sur le « jésuitisme » des Habsbourgs ; et puisque jadis le pape Clément XIII avait défié l’Allemagne en même temps que la Réforme en envoyant au maréchal Daun, commandant des troupes autrichiennes, une épée bénie[1], il appartenait à la Prusse du XIXe siècle de lutter à la fois contre l’ultramontanisme et contre l’Autriche. Sybel, un jour de 1859, s’était laissé aller à dire devant Auguste Reichensperger : « Quel dommage que la Prusse ne soit pas, en même

  1. L’anecdote, du reste, est aujourd’hui controuvée.