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et que l’œuvre des moines et l’œuvre des jongleurs soient choses indiscernables.

A moins donc de vider la légende de Girard de son contenu et de l’exténuer, il nous faut admettre qu’elle a germé à Pothières, issue des tombeaux de Girard, de Berte et de leur enfant. Mais pourquoi ? A quelle occasion ces tombes ont-elles attiré l’attention des moines et des poètes ?

Le véritable auteur de la légende de Girard de Roussillon, c’est, j’espère le montrer, sainte Marie-Madeleine, et nous n’aurions ni la chanson de geste, ni la Vie latine, si jadis, à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, Marie n’avait répandu le nard sur les pieds de Jésus et ne les avait essuyés de ses cheveux.


II

A l’époque qui nous occupe, sainte Marie-Madeleine n’était encore vénérée ni à l’église de Saint-Maximin d’Aix, ni dans la belle et sauvage caverne de la Baume, chère à Mireille. Son unique sanctuaire était à Vézelay. Or, elle tient une place dans les préoccupations du moine de Pothières, auteur de la Vita Girardi, une place aussi, ce qui est plus curieux, dans celles du poète, auteur de la chanson de geste.

La Vita (§ 229) compare le pécheur que fut Girard à la pécheresse Madeleine, qui, pour avoir « vescu en la seignorie des sept deables, » n’en fut pas moins l’amie du Christ ; ailleurs (§ 31), la Vita montre Berte appliquée comme Marthe aux œuvres actives, et, comme Marie-Madeleine, aux œuvres contemplatives de la piété : « et aucunes fois seoit Berte avec Marie as piez Jhesu-Crit et ooit la parole d’icelui et arousoit ses piez par habondance de ses larmes et lour donnoit baisiers de pitié et les terjoit par les chevous de veraie devocion. »

De même la Madeleine joue un rôle dans la chanson de geste. Quand Girard et Berte, fugitifs, errent dans la forêt d’Ardenne, Girard épouvante par sa violence l’ermite qui leur donne asile ; alors le vieillard « se prosterne contre terre, les genoux et les coudes nus, et demande à Marie-Madeleine de lui inspirer les prières salutaires (§ 514). » C’est en l’honneur de Marie-Madeleine que Berte aide un pèlerin à porter au haut de la colline de Vézelay les sacs remplis de sable ; nul ne sait le nom de ce pèlerin ; mais plus tard (§ 666-7), on découvre qu’il